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ses confrères. « Messieurs de la faculté, développait-il, vous êtes les ministres et les collègues de Dieu… » La promotion d’Argan, dans le Malade imaginaire, est simplement burlesque ; mais ne seraient-ils pas de la meilleure comédie, ces « paranymphes, » éloges officiels de chaque docteur nouvellement reçu, prononcés en public par son parrain ?

L’un de ces parrains s’exprime en ces termes sur le compte de son récipiendaire, qui répondait au nom de Moreau :

« Le voilà, ce jeune Moreau, la merveille de son siècle et de cette école ! Que dis-je ? La merveille ! Mais il n’y a rien qu’on puisse appeler merveilleux en un mortel chez qui tout est divin et dont on ne doit rien attendre d’ordinaire… » Or celui qui parlait ainsi était un contemporain de Molière. Et de même ceux qui proposaient et rédigeaient leurs thèses de doctorat en médecine sur des sujets tels que les suivans : « Les héros sont-ils bilieux ? » — « La femme est-elle un ouvrage imparfait de la nature ? » — « Les bâtards ont-ils plus d’esprit que les enfans légitimes ? »

Que les savans d’il y a deux siècles fussent moins savans que les nôtres, c’est de quoi l’on ne saurait leur tenir rigueur, attendu que, dans deux siècles, si le progrès des connaissances humaines marche du même pas, nos « savans » d’aujourd’hui sembleront ignorans à leurs successeurs. On ne croyait plus, sous Louis XIV, que la belette


Par la bouche conçoit et par l’oreille enfante,


comme le croyait Richard de Fournival, fils du médecin de Philippe-Auguste, chancelier de l’église d’Amiens au XIIIe siècle ; on ne croyait plus que l’améthyste rende éloquent, que l’émeraude aide à vaincre dans les combats et que l’aimant fasse découvrir le degré de chasteté des femmes, comme le croyait au XIVe siècle Albert le Grand, dans son traité Des vertus des herbes et des pierres ; on ne croyait plus, comme Jean Cuba au XVe siècle, dans son Ortus sanitatis, que la harpie, qui a tué un homme, s’attriste jusqu’à la mort lorsqu’elle aperçoit dans l’eau la ressemblance de son image avec la tête humaine. Les contemporains de Pascal n’auraient pas soupçonné de sorcellerie, comme les contemporains de Villon, une femme hydropique à cause de son ventre ; ils n’auraient pas condamné,