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600 000 francs par an, tandis que les premiers médecins ne se font pas plus de 200000, que la chirurgie soit supérieure à la médecine ; ni de ce qu’un ténor peut gagner 400 000 francs, tandis qu’un comédien n’en gagnera pas plus de moitié, que l’opéra l’emporte à ce point sur le drame ; ni enfin, de ce que le peintre de portraits en vogue réalise des recettes annuelles de 300 000 francs, tandis que le peintre d’histoire le plus réputé reste bien en deçà d’un pareil chiffre, il n’y a pas à conclure que l’« histoire » soit au-dessous du « genre » ou du « portrait. »

Mais seulement cette remarque peut être faite : que les vulgaires lois économiques gouvernent brutalement ce domaine des honoraires et que, malgré les changemens du régime politique, les faveurs pécuniaires des citoyens se trouvent n’être pas distribuées avec plus de discernement véritable que celles des rois.

Nos bourgeois contemporains sont toutefois plus généreux, parce qu’ils sont plus riches, que n’étaient les grands personnages de jadis : et leur clientèle est moins oppressive parce qu’elle est plus divisée. Le médecin, l’artiste du moyen âge devait, pour bien vivre, vivre à la solde d’un patron puissant ; client unique qui devenait un maître. Les « physiciens » des princes touchaient un traitement annuel, qui variait de 2 250 francs pour le médecin du comte de Savoie (1401), jusqu’à 22 000 francs pour le chirurgien de Charles le Sage. Ce dernier chiffre est très exceptionnel ; de même ceux de 19 500 francs attribués au premier médecin de la reine Anne de Bretagne (1498), et de 14 600 francs accordés au médecin d’un infant d’Aragon (1380)[1].

Pratiquement, les appointemens allaient de 4 000 à 8 000 francs. Le premier « maître en médecine et physicien » du duc de Bourgogne avait 7 000 francs, le second 5700 francs. Celui du duc de Berry 6 000 (1397) ; celui de la reine Isabeau de Bavière 5 800. Le médecin ordinaire et le chirurgien de l’archiduc-roi d’Espagne (1501) ont pareillement 6 700 francs. Plus économes, le duc d’Orléans ne payait que 4 560 francs en 1445, et son aïeul,

  1. Le lecteur voudra bien se rappeler que tous les chiffres, sans exception, contenus dans cet article, sont comme ceux des articles antérieurs sur les mêmes sujets, des chiffres actuels. C’est en monnaie de nos jours que sont exprimées ici toutes les sommes de jadis, préalablement traduites et converties, d’abord suivant leur valeur intrinsèque en grammes d’argent, ensuite selon la puissance relative d’achat d’un gramme d’argent autrefois et de nos jours.