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une autre nature. Ne peut-on pas dire que dans la Grèce, déchirée par tant de factions, divisée en tant de cités jalouses et ennemies, l’unité ne s’est guère faite qu’autour d’Homère ?

En ce moment, l’opinion semble être sévère aux nations latines. On leur fait de grands reproches, et quoiqu’on les accuse ordinairement d’avoir trop bonne opinion de leurs mérites, elles répètent avec une complaisance singulière le mal qu’on dit d’elles. Pour ne parler ici que de la France, tandis que les adorateurs du succès n’ont d’éloges que pour l’Allemagne et nous humilient par la comparaison, ceux qui reviennent d’une excursion en Amérique, la tête encore étourdie du mouvement des foules, du bruit des machines, de l’activité des usines et des marchés, ne cessent de nous proposer l’exemple des Anglo-Saxons. Tous témoignent une douce pitié pour ces qualités dont nous avions la vanité d’être fiers, et que l’Europe a eu si longtemps la faiblesse de nous envier, et ils essayent de nous montrer, pour nous en guérir, qu’elles ne sont plus à la mode. Je doute pourtant qu’ils y réussissent. Le mal est trop ancien ; il a poussé trop loin ses racines. Ces qualités qu’on raille et dont on tient à nous corriger, je remarque que ce sont celles mêmes que j’énumérais au début de ce travail en indiquant les sens divers qu’on donnait au mot humanitas ; avant tout, le souci de la culture de l’esprit, un amour ardent pour les lettres, au sens où les prenaient les Romains, les lettres humaines, qui s’appliquent à la vie, qui ont un caractère pratique et une importance sociale. C’est cette façon de les comprendre et de les cultiver qui a donné à notre littérature ce mérite particulier de pouvoir convenir à presque tous les peuples et d’être devenue par momens une littérature universelle. C’est de là aussi que nous tenons cette aménité dans les relations, ce ton de politesse qu’ailleurs on cherche à copier, enfin ce goût de la vie mondaine qui ne s’est pas tout à fait perdu chez nous, même en ce temps de démocratie. Car, si nous ne possédons plus guère des salons comme ceux du XVIIe et du XVIIIe siècle, qui faisaient l’admiration de l’Europe, on remarque que nous sommes encore le pays où l’on aime le plus à se réunir, à causer, où l’on fait le plus de cas de ces plaisirs de la société que Bossuet appelle « le plus grand bien de la vie humaine. » À ces qualités d’extérieur et de surface, qu’il ne faut pas dédaigner, il s’en ajoute d’autres plus importantes, que les anciens attribuaient aussi à l’éducation, aux