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auquel ils tenaient plus qu’à tout le reste. Leur nationalité même, dont les liens étaient déjà si relâchés avant leur défaite, n’a pas disparu avec elle, et ils n’y ont pas renoncé tout à fait en devenant Romains. Au contraire, Mommsen a montré que, dans certains pays où elle existait à peine, c’est Rome qui l’a véritablement créée. Elle a donné un centre à la Grèce, qui en avait toujours manqué, par la création de l’amphictyonie, et c’est autour de l’autel de Lyon, dans la célébration des fêtes augustales, que la Gaule a pris le sentiment de son unité. La paix profitait à tout le monde. La prospérité publique est attestée par les monumens somptueux élevés aux frais des municipes et qui subsistent encore. Les hautes classes cultivaient les lettres que Rome leur avait enseignées et étaient fières de s’initier aux habitudes de la civilité romaine. Le grand spectacle du monde uni et tranquille sous la même autorité frappait les lettrés d’admiration. Les plus éclairés d’entre eux, et qui connaissaient la philosophie grecque, songeaient à cette cité universelle rêvée par les sages, qui devait contenir l’humanité, et il leur semblait que jamais elle n’avait été plus près d’être réalisée. Les malheurs de l’Empire, vers la fin du IVe siècle, ne parvinrent pas à les en détacher. Il semble au contraire que jamais ils n’aient plus compris ni mieux exprimé les bienfaits de la domination romaine qu’au moment où ils sont menacés de les perdre. C’est pendant qu’Alaric se préparait à marcher sur Rome que Claudien, un Alexandrin de naissance, écrivait ces vers admirables où il nous la montre réchauffant les vaincus sur sa poitrine et unissant sous le même nom tout le genre humain :


Hæc est in gremio victos quæ sola recepit
Humanumque genus communi nomine fovit[1].


Elle venait d’être prise et ravagée, quand Rutilius Namatianus, un Gaulois du Midi, qui retournait en toute hâte dans son pays menacé, la saluait encore en lui disant avec une touchante reconnaissance :


Urbem fecisti quod prius orbis erat[2].


Un peu plus tard, quand les affaires eurent encore empiré, que les Germains occupèrent l’Italie, la Gaule, l’Espagne, l’Afrique,

  1. In secund. consul. Stilichonis, 150
  2. Itinerarium, 65.