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à elle tout entiers, lui consacrer tout ce que nous possédons, être prêts à mourir pour la défendre[1]. » Voilà le devoir, et, comme il n’y met aucune restriction, nous devons en conclure que si c’est son opinion que la petite patrie, malgré la tendresse qu’il a pour elle, doit céder à la grande, à plus forte raison l’affection que nous éprouvons pour l’humanité doit être sacrifiée à celle que nous inspire notre pays. Les conceptions de sa philosophie généreuse ne lui font pas oublier la réalité des faits. Il n’ignore pas que ces sentimens peuvent entrer en conflit ensemble, qu’il y a des occasions où ces étrangers, que nous voudrions regarder comme des frères, deviennent des ennemis, et que nous sommes forcés de prendre les armes pour les combattre ; il pense que nous ne devons pas hésiter à le faire. Mais alors, à quoi sert-il de s’être proclamé « citoyen du monde, » et quel profit le monde pourrait-il tirer de ces belles théories ? Cicéron entend bien que, même en cette extrémité, l’humanité ne perde pas ses droits. Il veut d’abord qu’on résiste à la guerre tant qu’il sera possible. « Puisqu’il y a deux manières de régler les différends, la discussion pacifique (nous dirions aujourd’hui l’arbitrage) ou la violence, que l’une convient à l’homme et que l’autre est le propre des bêtes féroces, il faut n’avoir recours à la force qu’après que les autres moyens ont été épuisés ; et dans tous les cas, on ne doit jamais faire la guerre que pour obtenir une paix équitable qui nous permette de vivre honorablement en repos. » Si nous sommes victorieux, il nous interdit d’abuser de la victoire. Nous devons être démens envers ceux qui n’ont pas été cruels pendant la lutte et il faut leur conserver la vie. En un mot, on doit être bien convaincu qu’il y a des limites au droit de se venger et de punir : est ulciscendi et puniendi modus[2].

Si l’on songe que ces belles paroles ont été prononcées il y a plus de deux mille ans et avant le christianisme, ou trouvera peut-être que notre civilisation a fait depuis cette époque un peu moins de progrès qu’il ne nous plaît de le croire ou de le dire.

Tous ces beaux préceptes se trouvent surtout dans le dernier ouvrage de Cicéron, le dire.

  1. De Legibus, II, 2.
  2. De Officiis au livre I, II et III, 11.