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souverain bien[1], » et il affirme que ces entretiens, qui nous semblent un peu graves pour un dîner sans façon, le rendent heureux comme un Dieu : O noctes cænæque Deum ! Ces questions sont celles mêmes qu’agitaient les disciples de Panætius, à la table de Scipion. Si elles faisaient encore à l’époque d’Horace des conversations de dessert qui le ravissaient, qu’on juge de l’intérêt qu’elles devaient avoir, dans leur nouveauté, pour des gens plus capables de les comprendre que les bons propriétaires des maisons de campagne de Tibur.

C’est au temps de Scipion que s’achève l’initiation de Rome aux lettres et à la vie grecques. Comme on voit qu’elle est complète au moment où Cicéron commence d’écrire et dès ses premiers ouvrages, il faut qu’elle remonte un peu plus haut que lui, c’est-à-dire à la génération qui l’a précédé de quelques années. Dès la fin du VIe siècle, Rome a pris de la civilisation hellénique tout ce que comporte son génie, et dès lors une grande époque littéraire se prépare pour elle.


V

L’œuvre, comme on le voit, s’était faite lentement ; dans les assimilations de ce genre, c’est une première condition de succès. Mais il y en avait d’autres, qui n’étaient pas moins nécessaires et qui rendirent l’union intime et durable. Ici encore nous allons retrouver l’action de Scipion et de ses amis.

Pour mieux apprécier la manière dont ils se sont conduits en cette occasion et rendre hommage à leur sagesse et à leur patriotisme, il convient de remonter un peu plus haut. Rappelons-nous que, dès les premières relations que les Grecs et les Romains ont eues ensemble, les affinités de leur religion et de leur langage n’ont pas pu leur échapper, et qu’ils ont dû confusément reconnaître qu’ils étaient du même sang. Mais pour être très proches parens, on n’en est pas toujours plus amis. En même temps qu’ils voyaient les ressemblances qui se trouvent entre eux, ils étaient frappés des diversités. Elles s’accusèrent davantage quand la défaite de Persée et d’Antiochus eut mis le monde grec dans les mains de Rome. Cette situation rendit les

  1. Horace, Sat., II, 6.