Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ailleurs que pour savoir ces choses… nous n’en sommes guère plus avancés : il entend et nous entendons comme lui par rapport à la question vraiment intéressante, qui est de savoir ce qu’il y a de vraiment « celtique » dans la légende de Tristan. Pictes ou Gallois, Celtes du Nord ou Celtes du Sud, Armoricains encore du continent, si l’on le veut, ce sont toujours des Celtes, ou du moins on nous l’enseigne, et ils peuvent sans doute être séparés les uns des autres par des nuances assez profondes, — aussi profondes que les divisions et les haines qui ont fini par les détruire ; — mais ce qui nous importe, ce qui importe à la critique et à l’histoire, c’est de ressaisir, dans une légende comme celle de Tristan, les qualités d’esprit ou d’âme par lesquelles, tous ensemble, et comme « groupement » ou comme « race, » ils s’opposent aux groupemens germanique et latin.

La réponse n’est pas facile, et d’abord parce que, depuis soixante ou quatre-vingts ans, un préjugé s’est enraciné. D’une manière générale, on admet que « la matière de Bretagne » est d’inspiration celtique, et, moi-même, sur la foi des maîtres, je dois avouer que je l’ai cru longtemps. Qu’est-ce que n’ont pas enseigné les maîtres ? et qu’est-ce que les disciples n’ont pas cru ! L’inspiration celtique des Romans de la Table Ronde était, au temps de ma jeunesse, comme un dogme du « médiévisme. » Là vivait toujours, dans ces Contes merveilleux et, grâce à eux, vivrait éternellement l’âme d’une race à qui la fortune avait refusé dans l’histoire la gloire éclatante des armes et les triomphes de la politique. Elle s’y révélait supérieure à ceux qui l’avaient éclipsée sur la scène du monde, vaincue et refoulée dans les étroites frontières de sa Cornouailles et de son Armorique. Et depuis qu’un grand écrivain, Ernest Renan, dans un Essai demeuré célèbre, sur la Poésie des races celtiques, avait illustré, pour ainsi dire, ces idées du prestige de son style, ou plutôt les avait consacrées, nous les avions tous adoptées. Il ne semble pas aujourd’hui qu’elles soient conformes à la vérité, ni surtout, qu’elles se dégagent des Romans de la Table Ronde. Matériellement, géographiquement, la légende de Tristan est d’origine indubitablement celtique. Elle est née en pays celtique, et elle s’y est « organisée. » Mais, de cette origine, il ne semble pas que, dans les versions que nous en avons ou dans les reconstitutions que nous en pouvons faire, les traces soient