Composa les Églogues à l’imitation de Théocrite, s’efforçant d’égaler les grâces de son modèle. Tandis que la poésie sicilienne avait été la peinture assez naïve de la vie pastorale, l’églogue chez Virgile devient une sorte de langue convenue pour exprimer dans un milieu champêtre des idées d’une tout autre nature. On a prétendu en effet que la cinquième églogue, Daphnis, est allégorique, et que Virgile y a célébré la mort et l’apothéose de César divinisé par les triumvirs. Dans son éloquente et instructive préface, M. Emile Gebhart a d’autre part expliqué comment l’une de ces églogues, la quatrième, eut au moyen âge une étonnante fortune, comment le « poète y parut prédire en vagues paroles un rajeunissement du monde, l’achèvement des prophéties sibyllines, le triomphe d’une vierge, la naissance d’un enfant qui rendrait à la famille humaine les félicités de l’âge d’or, » et comment « de cette pensée sortit alors toute la légende de Virgile, l’une des plus riches qu’ait imaginées le moyen âge, Virgile prophète, magicien, enchanteur, docteur scolastique, alchimiste, capitaine invincible, Virgile duc de Naples, Virgile, enfin, sauvé de l’Enfer, mais arrêté au seuil du Paradis. » C’est le contraste entre l’artifice de la composition et la simplicité du style, ce mélange de beautés lyriques, élégiaques, épiques, et dramatiques qui font le mérite éminent des Eglogues et leur charme. Cette impression de grâce touchante, de sensibilité, de majesté sublime, on la retrouvera tout entière dans ces aquarelles exquises, dans ces fins paysages de tous les temps et à toutes les heures, éternel décor des idylles et des amours, dans ces solitudes des bois, aux sources des ruisseaux murmurans, près des grottes et des roches, des collines dorées par les premiers feux de l’aurore, ou les couchers du soleil, dans ces sites enchantés que le peintre comme le poète lumine vestit purpureo, dans ces forêts voilées, ces prairies vaporeuses, ces plaines où, près des noirs cyprès, se dresse une stèle funéraire, apparaît le marbré d’un tombeau dans la solitude, tandis que la fin du jour revêt toutes choses de la merveilleuse harmonie des nuances les plus douces. Ce qui distingue encore toutes ces compositions, c’est leur caractère d’unité. Encadrant ces paysages, ce sont les plantes, les fleurs, les fruits, les objets rustiques et les symboles évoqués par le poète qui fournissent les motifs des illustrations d’Adolphe Giraldon, gravées sur bois en couleurs par Florian, chaque paysage comprenant cinq bois repérés. Tous les soins ont été apportés à l’impression matérielle de cet ouvrage unique en son genre, d’une exécution parfaite, dont les caractères ont été dessinés par M. Giraldon, et qui, en dehors de sa valeur d’art, fera date dans l’histoire de la gravure sur bois, en
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