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« mécontentement » est poussé chez lui à un degré merveilleux, nous ne comprenons pas que ce sentiment ait pu lui suffire pour aller s’exposer à toutes les souffrances et à tous les dangers qui, à l’en croire, auraient été l’unique résultat de ses expéditions.

Et ce mystère se complique pour nous d’un autre, non moins inquiétant. A chaque page du récit de Lithgow nous apprenons que, dans telle ou telle circonstance, il a été battu, — le pauvre homme semble vraiment avoir été prédestiné à la « bastonnade, » — et détroussé de tout son avoir : après quoi nous le voyons poursuivant sa route aussi fièrement que par le passé, distribuant des « sequins d’or » avec la munificence d’un riche gentilhomme, et se plaignant des tributs excessifs que réclament de lui guides et hôteliers, qui ; au spectacle de ses grandes manières, le prennent ingénument pour un prince en incognito. Tous ces sequins, dont il nous énumère invariablement la dépense, d’où les a-t-il, et comment parvient-il à en conserver la source, à travers tant de spoliations complètes ou partielles ? Une fois, à propos de son aventure de Malaga, il nous avoue qu’il a l’habitude de cacher de l’argent dans son linge, « cousu entre deux toiles ; » mais, le plus souvent, il néglige de s’expliquer sur l’origine de ses revenus, ou bien s’amuse à nous mystifier par des phrases comme celle-ci : « J’ai payé là un tribut plus convenable pour un prince que pour un pèlerin ; et le plus étonnant de toute cette histoire est, pour moi, de savoir comment j’ai pu être fourni de toutes ces grandes sommes que j’ai déboursées chaque jour. » Dans un autre passage, bien caractéristique aussi, il raconte qu’un certain gouverneur, pour le récompenser de lui avoir dénoncé une bande de pirates, lui a offert de l’argent, lors de son départ ; et il ajoute : « Lequel argent, si je l’ai pris ou non, je vous laisse le soin d’en juger à votre discrétion. » Il a pris cet argent ; et nous savons de même qu’il a recueilli l’héritage de plusieurs de ses compagnons qui sont morts en route, et que, lorsqu’il l’a pu, il s’est fait rembourser, par des magistrats ou des gentilshommes charitables, les sommes que des voleurs lui avaient dérobées. Un jour, en Sicile, il a rencontré les cadavres de deux jeunes seigneurs qui venaient de se battre en duel, et s’étaient tués dès le premier coup. « Sur quoi, pour dire la vérité, je me suis empressé de fouiller leurs poches, et j’y ai trouvé leurs deux bourses de soie gonflées de pistoles d’Espagne : ce dont mon cœur a sauté de joie ; et puis, après avoir retiré cinq bagues de leurs quatre mains, j’ai enterré tout cela à cent pas de l’endroit où je l’ai repris quelques heures après. Et quant à savoir si ce que j’ai fait était légitime ou non, je ne