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lecteur, tu te trouves être un vilain, un ruffian, un Momus, un valet, un critique, un bouffon, un âne stupide, ou un ver rampant avec des lèvres envieuses, j’invoque pour toi une récompense de bourreau, où une corde de chanvre mettra fin bientôt à ta ricanante médisance, et délivrera mes pénibles voyages, comme aussi le travail douloureux de mon présent livre, du venin mortel de ta calomnie. Sur quoi, va te pendre : car je suis bien résolu à n’avoir ni égard pour ton amour ni attention pour ta malice ! »


Tel est l’homme dont une grande librairie écossaise, — celle-là même qui avait réédité, l’an passé, les charmantes Crudités de Coryat, — vient de nous restituer les Rares Aventures et Pénibles Pérégrinations, imprimées d’abord à Londres, en 1635, par Nicolas Okes, maintes fois réimprimées au cours du XVIIe siècle, et tombées ensuite dans l’oubli pendant deux cents ans. Le livre du tailleur de Lanark nous est rendu sous sa forme originale, avec sa division en dix chapitres dont chacun est précédé d’un préambule en vers, avec la petite série des « poèmes panégyriques » que Lithgow, à l’exemple de Coryat, s’est fait écrire par des beaux-esprits de Londres et d’Edimbourg, pour recommander au public le récit de ses voyages, et avec ces nombreux portraits dont j’ai parlé déjà, nous représentant l’auteur debout sur les ruines de Troie, ou bien se promenant orgueilleusement « dans son costume turc, » un grand sabre à la main et suivi d’un esclave, ou bien encore campé dans une attitude de conquérant, parmi des vipères et des chacals, au cœur inaccessible du désert de Libye. Un autre portrait nous le fait voir à Fez. en compagnie d’un personnage à vaste perruque qui doit figurer le Sultan de l’endroit ; un autre nous le montre attaché à un arbre, en Moldavie, avec six petits « assassins » occupés à décharger sur lui d’énormes mousquets : et c’est dans ce portrait-là qu’il a le plus grand air, majestueux et serein, comme s’il prévoyait déjà l’arrivée du « baron moldavien » qui va venir le délivrer, l’accueillir dans son château, et « le compenser amplement de ce qu’il a perdu. » Mais ni ces images, ni le texte du livre ne nous renseignent, en fin de compte, sur ce que Lithgow est allé chercher dans les diverses régions qu’il a visitées. Des deux hypothèses entre lesquelles, tout à l’heure, il nous offrait le choix, quant aux motifs de l’un de ses voyages, l’hypothèse du « mécontentement » et celle de la « curiosité, » nous devinons bien que cette dernière est la moins probable, notre homme ayant une trop haute opinion de soi-même pour être « curieux » de quoi que ce soit d’autre : mais si, certes, le