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indignation ; et il avoue même, quelque part, qu’il a rapporté de Libye « un secret amusant au sujet des femmes, » et qu’il l’a « souvent récité au roi Jacques, d’heureuse mémoire. » Mais il néglige de le « réciter » à ses lecteurs, qui se demandent si vraiment il y a eu jamais quoi que ce soit qui l’ait « amusé, » dans ces voyages qu’il ne leur représente que comme une série continue de mésaventures, de fatigues, et d’ennuis. « Ah ! — s’écrie-t-il en sortant du tombeau du Christ, à Jérusalem, — que soit damnée l’aveugle stupidité de ceux qui s’imaginent que les voyageurs n’ont pas de dépenses, et vont où ils veulent, et sont librement entretenus partout : cela est aussi faux qu’une erreur hérétique. » Lui-même, tel qu’il se révèle à nous, il est tout pareil à ces habitans d’une petite île grecque dont il nous dit que, « dans leur conduite, ces misérables sots faisaient voir la nécessité qu’ils avaient de vivre plutôt qu’aucun plaisir qu’ils trouvaient à leur vie. » Et tout son livre pourrait porter en épigraphe ces mots, qui précèdent le récit de son voyage en Crète : « Je vais, aussi brièvement que je le pourrai, raconter un petit nombre des misères endurées par moi dans ce pays. »

Je ne sache pas que, dans aucun système de phrénologie ou d’anthropologie, les oreilles soient considérées comme le siège de la bienveillance, ni de l’aptitude à goûter le plaisir : mais certainement l’absence de ces organes doit avoir contribué à l’incroyable intensité d’aigreur que nous manifeste le caractère de notre touriste écossais. Le malheureux ne se méfie pas seulement des étrangers : son hargneux pessimisme n’épargne pas même ses amis et ses bienfaiteurs, — sauf lorsqu’il s’agit de gens en place, depuis les deux rois Jacques et Charles jusqu’au moindre laird écossais, qu’il étouffe sous la masse pesante de ses flatteries. Mais lorsque, par exemple, un excellent évêque rétois l’accueille dans sa maison, et s’empresse à lui offrir toute sorte de précieux cadeaux rustiques, Lithgow, pour tout remerciement, note que c’est l’usage, chez les Grecs des classes supérieures, « de ne jamais laisser partir un étranger sans lui donner des présens et un convoi. » En Syrie, la caravane dont il fait partie est dirigée par un capitaine arménien si intelligent, si actif, et si dévoué que le voyageur, d’abord, est tenté de se départir, à son endroit, de son mépris habituel pour l’espèce humaine : mais aussitôt il se ravise, et déclare que ce capitaine, ayant reçu de lui la somme convenue, ne s’est occupé de le protéger que par « rapacité. » Il n’y a pas jusqu’à nous, ses lecteurs, qu’il ne se croie tenu d’injurier, dès sa préface, pour nous témoigner sa méfiance de notre jugement sur lui. « Si d’aventure, dit-il au