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« pédestrissimes » encore que les tiennes, un autre vagabond de ton île, l’Écossais William Lithgow, ton contemporain, et que sans doute il te sera arrivé de rencontrer, soit à Paris en 1608, ou bien, plus tard, à Londres, dans l’une de ces tavernes où tu rimais, dissertais, et t’enivrais chaque soir, en société des meilleurs poètes et beaux esprits de ton temps ! Auquel cas je suis sûr que tu auras été rempli de respectueuse considération pour ce petit homme, infatigable à se glorifier de la « rareté » de ses souffrances et de son génie : sauf à t’étonner, discrètement, de la façon dont il semblait vouloir cacher ses oreilles sous les touffes épaisses de ses cheveux roux. Mais lui, à supposer qu’il t’ait trouvé digne de son attention, quel souvenir méprisant il aura emporté de l’élégance un peu apprêtée de tes manières, et de la tiédeur de ton « anti-papisme, » et de ta prétention à te croire un « voyageur, » pour t’être indolemment promené de Londres à Venise !


J’ajoute que, sur ce dernier point, son mépris aura eu de quoi se justifier : car le fait est que l’excursion de Coryat, si riche qu’elle ait été en divertissement pour lui-même et pour nous, risque de nous paraître assez misérable auprès des « dix-sept années » que Lithgow nous affirme qu’il a passées à parcourir le monde, « en trois voyages, chèrement payés, à travers toute sorte de royaumes, îles et continens, sur |un espace total de plus de trente-six milliers de milles, ce qui est tout proche d’équivaloir au double de la circonférence de la terre entière. » Parti, le 7 mars 1609, de Paris, où il venait de faire un séjour de neuf mois, après plusieurs autres voyages dont il ne juge pas à propos de nous entretenir (et que je soupçonne, au reste, de n’avoir eu lieu que dans son imagination), Lithgow a visité tour à tour l’Italie, l’Istrie et la Dalmatie, la Grèce, la Crète, la Macédoine, la Turquie, l’Asie Mineure, la Syrie, la Palestine, l’Egypte, Malte, et la Sicile. Puis revenu à Londres en 1612, il en est reparti l’année suivante pour explorer les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, Tunis, Alger, le Maroc, le désert de Libye ; et puis encore, de retour en Europe, l’Autriche, la Hongrie, la Pologne et le Danemark. Enfin, durant l’automne de 1619, après trois années de repos, il s’est remis en route, avec l’intention d’aller voir le fameux « Prêtre Jean » dans son Abyssinie : mais force lui a été, cette fois, de s’arrêter en Espagne, où la police de Malaga, l’ayant soupçonné d’être un espion anglais, l’a gardé prisonnier pendant plusieurs mois, et lui a fait subir certaines épreuves qui, lorsque ensuite il a obtenu d’être relâché, lui ont ôté à la fois le goût et les moyens de tenter, désormais, d’autres aventures.