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fête est une partie de la « comédie parisienne, » et que le théâtre a bien le droit d’en peindre les mœurs ; je n’en disconviens pas, quoique d’ailleurs je n’en voie guère la nécessité. La vérité de la peinture eût donc consisté à nous présenter ce monde tel qu’il est et à faire ressortir la hideuse vilenie des types qui le composent. Ce Poliche, pitre par amour et qui fait les intérims auprès d’une drôlesse, est parfaitement écœurant. Nous le donne-t-on donc pour un triste sire ? Lui fait-on tenir un rôle de pleutre et de grotesque ? Nullement. On lui fait verser de vraies larmes, pousser de vrais sanglots, afin qu’ils provoquent en nous cette émotion et cette sympathie que nous accordons à toute douleur sincère. On nous invite à apprécier pour ce qu’elle vaut la délicatesse de son âme. Dès qu’il se rend compte que Rosine est, pour son rival, en proie au grand amour, il dompte sa colère, étouffe sa propre souffrance et ne songe plus qu’à plaindre celle sur qui s’est abattue la fatalité de la passion. Alors, il devient doublement sublime, car il l’est avec simplicité. Il renonce, il se résigne, il renvoie sa maîtresse à cet amour qu’elle ne peut oublier et qu’elle a dans le sang. Quand, au dernier acte, la toile s’est levée sur une voie de chemin de fer, nous n’avons pas redouté, un seul instant, que Poliche s’allât jeter sous les roues du train qui emporte l’infidèle. Cela était bon pour les mélodrames d’autrefois, et, d’ailleurs, pensent les écrivains d’aujourd’hui, beaucoup moins triste que le spectacle de la banalité quotidienne et de l’incomplet de la destinée. Il s’en ira, sans se plaindre, ce Poliche : il se consolera peut-être. N’y a-t-il pas, dans ce drame des séparations, bien de la mélancolie ?… Nous pensons qu’il y a surtout, dans cet étalage de fausse sensibilité, bien de la niaiserie.

Il s’en faut que Poliche marque un progrès dans le talent de M. Bataille. L’auteur de Maman Colibri nous avait donné des pièces singulièrement désobligeantes où il affectait de traiter les sujets les plus pénibles ; mais il y apportait une dextérité et une sorte de vigueur nerveuse qui font ici constamment défaut. La pièce est incohérente, gâtée par des maladresses qui sautent aux yeux, — par exemple, Saint Vast qui, au premier acte, semble devoir être un personnage important, ne reparaît plus. Le troisième acte a paru furieusement long, et le quatrième étonnamment court, ce qui ne fait pas compensation.

Les acteurs de la Comédie ont été excellens, toutes les fois, du moins, qu’on a pu les entendre. M. de Féraudy a été tout bonnement admirable dans le rôle de Poliche. Il l’a fait accepter, et c’est tout dire. Il y fait preuve tour à tour, et parfois tout ensemble, de verve et d’émotion ; il y met toujours une mesure qui est d’un artiste de premier