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dans le cœur d’un ami, nous révèle sa psychologie. Car sa vie a son secret, et son âme a son mystère. Venu de Lyon tout exprès pour être parisien, il a rencontré Rosine, en est tombé éperdument amoureux, a cherché avec anxiété les moyens de lui plaire. Une plaisanterie un peu grosse, qu’il a hasardée certain soir, ayant déridé la jeune femme, il en a conclu qu’il aurait chance de réussir auprès d’elle à titre de bon garçon sans importance : il sera celui dont on s’amuse et qui ne compte pas. Son sort était fixé. Il s’est installé dans ce rôle du « type rigolo. » Mais ce rôle lui pèse. Il souffre mille morts sous cette tunique de Nessus de la bouffonnerie, ayant, par nature, un cœur tendre avec un esprit distingué. Percevez-vous l’atrocité de cette situation et le dramatique de ce double jeu ? Mais les circonstances vont permettre à Poliche de dépouiller ce costume d’emprunt, d’enlever son faux nez et de montrer son véritable visage. Rosine traverse une crise. Elle vient d’être cruellement lâchée par le beau Saint-Vast, qui est allé rejoindre Pauline Laub. Nous avons même assisté à une scène entre les deux rivales, dans laquelle l’auteur s’est efforcé de faire tenir un monde de perversité féminine. Rosine a besoin d’être consolée ; il lui faut sentir auprès d’elle de la tendresse, une mélancolie qui s’harmonise à la teinte de son âme en deuil. C’est le moment que le confident de Poliche choisit pour démasquer son ami. Poliche et Rosine pleurent ensemble. Et, fuyant le monde où l’on s’amuse, ils seront, dans la retraite, le plus délicieux ménage de tourtereaux.

Ils ont choisi Fontainebleau pour y faire leur nid. C’est un nid où on s’ennuie ferme. On fait la partie de dominos avec des voisins campagnards ; on tire à l’arbalète pour tuer les mouches et les heures ; on élève des poissons rouges, on fait tourner des tables. Ce n’est pas très passionnant. Tout à coup, dans ce morne tête-à-tête, une amie de Rosine, Thérésette, vient jeter le nom du beau Saint-Vast. Il paraît qu’il s’est repris de goût pour Rosine, qu’il voudrait la ravoir. C’en est fait : toutes les ardeurs mal éteintes se rallument, dans le cœur d’Ariane. Elle brûle pour l’infidèle. Et Poliche ne s’y trompe pas. Que va-t-il faire ? Il est bon. Il est intelligent. Il sait comprendre les choses. Il conduit Rosine à la gare. C’est le dernier acte, ou plutôt le dernier tableau, représentant un buffet de gare, dans la nuit. Rosine attendrie, reconnaissante, et qui a offert, — sans conviction, — de rester, part vers l’amour. Poliche retournera à Lyon ; il rentrera dans la vie bourgeoise ; il se rangera. Triste ! triste !

On me dit que ce personnage de Poliche a été pris sur le vif, calqué sur un original que tout Paris a connu ; on ajoute que ce monde de la