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De bonne foi l’auteur a cru qu’il dessinait, dans le personnage d’Yvonne, une figure d’héroïne chrétienne. En effet, plusieurs de nos contemporains ont si bien perdu jusqu’à l’intelligence de l’idée chrétienne, qu’ils confondent l’esprit de sacrifice avec l’abandon de soi, la résignation avec l’oubli de la dignité, la bonté avec la lâcheté et la pitié avec la sottise. Parce que vous êtes chrétienne, si votre mari suit son instinct qui le pousse aux amours vagabondes, vous devrez souffrir en silence et éviter de contrarier ce mâle en qui la nature a mis le goût du plaisir. Parce que vous êtes chrétienne, si votre mari vous exploite et vous vole, vous devrez subir avec résignation cette épreuve. Et si la fantaisie lui vient de vous planter là, parce qu’il a trouvé ailleurs une opération plus avantageuse, vous devrez l’y aider, à moins de cesser d’être chrétienne. Car il a été dit : « Vous tendrez l’autre joue… » À ce compte, le rôle d’épouse chrétienne serait la plus épouvantable duperie ! On oublie que la piété n’exclut pas nécessairement le bon sens, et que si le christianisme nous ordonne de sacrifier tout ce qui est chez nous vanité, orgueil et sentimens égoïstes, il nous commande non moins expressément de lutter pour le bien. L’épouse n’a pas seulement le droit, elle a le devoir, en se défendant elle-même, de défendre son mari contre tous les pièges et contre toutes les tentations auxquelles la faiblesse masculine n’a que trop de penchant à céder : c’est à elle surtout qu’il appartient de maintenir l’intégrité d’un foyer et la perpétuité d’une union contractée en vue de tous les hasards de la vie et pour la souffrance comme pour le bonheur. Yvonne devait dire à son mari : « Votre Chambalot est un misérable. Votre Adrienne est une intrigante. Vous êtes un faible : je ne faillirai pas à mon devoir qui est de vous protéger. Je n’ai pas manqué à la foi que je vous ai jurée devant Dieu : je ne vous rendrai pas votre parole. Vous m’avez prise : je vous garde ! » Ce langage eût été celui d’une piété saine et vigoureuse. Mais la piété d’Yvonne est alanguie, faussée, pervertie par l’atmosphère d’une époque où il semble que toutes les énergies s’énervent et toutes les forces se dissolvent…

La pièce de M. Paul Adam est surtout faite de conversations et de raisonnemens ; et le dialogue n’y est pas toujours assez clair, ni assez nerveux. On ne démêle pas nettement les mobiles auxquels obéissent les personnages, et par exemple on n’arrive pas à discerner quel intérêt précis pousse Chambalot à s’occuper d’affaires qui sont si lieu les siennes. Ce Chambalot est une caricature au milieu de personnages falots. Il y a de la confusion, des maladresses, de la gaucherie.