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nous-mêmes et faisait de nous les amis de tout le genre humain. Voici venir une ère nouvelle : celle du « théâtre déliquescent. »

Il n’est pas né d’hier, et nous avons eu occasion déjà d’en signaler plus d’un essai. Mais c’est maintenant que nous le voyons s’imposer aux plus distingués parmi les jeunes auteurs, déployer la variété de ses ressources et se montrer capable de toutes les tâches. Il prend, avec les Mouettes de M. Paul Adam, des allures philosophiques. Car on voit bien que, dans cette pièce, l’affabulation dramatique sert uniquement à illustrer une idée. C’est un cas de conscience qui est débattu devant nous, c’est un problème à la solution duquel on nous convie. Comme dans beaucoup d’autres pièces, la question en cause est celle du mariage, ou plutôt du divorce. Et jusqu’ici on avait indiqué bien des mobiles parmi ceux qui peuvent disloquer les ménages : l’intérêt, la passion, la jalousie, le caprice et toutes les sortes de colère, de rancune et de haine ; il restait à chercher s’il n’y a pas lieu, en certains cas, de divorcer par amour, par devoir et par piété chrétienne… C’est en quoi consiste le « problème » des Mouettes.

Dans un coin de Bretagne, le docteur Kervil, homme de petite santé et de ressources chétives, mène une existence médiocre. Il est instruit ; c’est un chercheur ; il se croit à la veille de trouver un sérum qui pourrait sauver des milliers et des milliers d’existences. Mais il faudrait, pour arriver au succès, procéder à des expériences coûteuses. C’est pourquoi la découverte manquera probablement d’aboutir. Kervil ne deviendra ni un bienfaiteur de l’humanité, ni même un homme célèbre. Il continuera de soigner, avec un zèle désintéressé, les gens du pays. Il a près de lui sa femme, Yvonne, qu’il aime d’une affection profonde et tranquille. Une cousine, Adrienne, jeune veuve, séduisante et riche, est venue passer quelque temps chez les Kervil, et demander au calme provincial et à l’air salin un remède contre les fatigues de l’hiver parisien. Elle éprouve, auprès de Kervil, si différent des hommes de son monde, un petit frisson de surprise qu’elle prend pour de l’enthousiasme ; et, de son côté, Kervil n’est pas insensible aux grâces de sa brillante cousine. Cela ne va pas plus loin, et, l’automne survenant, cette ébauche de roman s’évanouirait dans les premières brumes. Mais ce serait compter sans Chambalot. Et il est inévitable que Chambalot surgisse, puisqu’il est l’homme du destin, celui qui a été créé par un décret nominatif de la Providence pour jeter le trouble dans ces cœurs paisibles.

Ce Chambalot, autour de qui gravite toute la pièce, et sur le portrait duquel l’auteur a concentré tout son effort, est certainement le