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REVUE DRAMATIQUE

LE THÉÂTRE DÉLIQUESCENT

Le théâtre agit-il sur les mœurs ? Est-ce la société qui façonne la comédie à son image ? Ce qui est certain, c’est qu’à chaque époque, les façons de penser et de sentir qu’exprime le théâtre ne peuvent manquer d’être marquées à l’empreinte de l’heure présente. Or les plus optimistes accordent que la société où nous vivons aujourd’hui n’est pas parfaitement calme, ordonnée et bien portante. Beaucoup de consciences sont en désarroi. On cherche avec inquiétude où est le vrai, et on s’ingénie à le poursuivre hors des voies coutumières. On tient le bon sens pour suspect, et d’avance on est favorablement disposé pour toutes les bizarreries. On se précipite vers les nouveautés ; ou encore on tire des doctrines anciennes, par une fantaisie d’interprétation, des conséquences inattendues. On ne se soucie pas de savoir si la ruine de certaines notions, contre lesquelles on s’acharne, n’entraînerait pas celle même de l’édifice social. La sensibilité comme la raison s’égare. On s’apitoie sur ceux que naguère on eût condamnés ; on s’attendrit sur des cas auxquels on avait refusé jusqu’alors de s’intéresser ; on s’émeut à faux. Cette moderne déliquescence devait, de toute nécessité, se traduire, au théâtre. Elle apparaît avec éclat dans les dernières pièces qui viennent d’être représentées et elle atteste leur parenté. C’est d’elle que nous vient la plus récente « formule » dramatique. Nous avions eu, il y a une quinzaine d’années, la « comédie rosse » conçue dans un accès de misanthropie et destinée à nous montrer dans l’humanité un ramassis de coquins, dans la vie un perpétuel cauchemar. Puis, par besoin de réaction, nous avons passé à la « comédie rose » qui nous réconciliait avec