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— devait faire pour s’enraciner dans des États que les armes et la fortune d’autrui lui avaient concédés. » C’est, que justement, dépendant, à son origine et par l’origine de sa puissance, des armes et de la fortune d’autrui, il n’ait rien négligé pour s’en affranchir. C’est qu’à cet effet il ait imaginé et employé tous les moyens qui pouvaient réussir ; qu’il n’ait reculé devant aucun ; qu’il ait jeté le désordre dans les États voisins, afin de se faire seigneur sûrement d’un morceau au moins de ces États ; qu’il ait été « grand connaisseur de l’occasion, » et que, « quand elle lui est venue bien, il en ait usé mieux ; » qu’il ait été aussi « grand dissimulateur, » ce qui est un renforcement, un redoublement de « très secret ; » qu’il ait su « se tourner aux ruses et cacher si bien son esprit » que « la simplicité » de ses adversaires les ait amenés à sa discrétion ; c’est qu’il ait bien connu comment on gagne et on perd les hommes, qu’il ait compris que, tenant de la conquête la Romagne et le duché d’Urbin, il devait s’en attacher les peuples par le bien-être, qu’il ait senti que ce pays, jusque-là mal gouverné par des seigneurs impuissans, volé par eux, divisé, plein de brigues et de brigandage, ne se réduirait que par un bon gouvernement à être pacifique et obéissant ; qu’après la justice sommaire du début, — les cruautés des commencemens de règne, — il y ait installé une justice régulière, et qu’en se débarrassant de l’exécuteur, il ait rejeté sur ce ministre seul la responsabilité des exécutions. C’est qu’il se soit détourné des Français et retourné vers les Espagnols, quand il a cru qu’il lui fallait changer d’amis pour n’avoir plus de protecteurs, et n’avoir plus de protecteurs pour n’avoir plus de tuteurs gênans ou avides. C’est qu’il se soit, ayant réglé les choses présentes, inquiété de préparer les choses futures, et que, ayant trouvé le point faible de sa domination, il n’ait eu de repos qu’il ne lui eût donné des fondemens plus durables : 1° en éteignant la race des seigneurs qu’il avait dépouillés ; 2° en gagnant à soi tous les gentilshommes romains ; 3° en faisant sien autant que possible le Sacré-Collège ; 4° enfin, en acquérant tant de solidité avant la mort du Pape qu’il pût, après cette mort, résister par lui-même à un premier assaut. Tout cela, tant de virtù, tant de ferocia, de fierté, tant d’activité, tant de choses en si peu de temps, dans si peu d’espace, pour pouvoir « se diriger » sans dépendre de la fortune ou de la force d’autrui, mais seulement de sa puissance à lui et de sa virtù à lui.