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bien fructifié que Comines pouvait écrire, parlant en général : « Nous sommes affaiblis de toute foy et loyauté. » Pour ce qui est des exactions, ni le même Ludovic Sforza, avec Cicco Simonetta, ni de plus minces seigneurs, des tyranneaux de village, comme les Riari d’Imola, n’avaient à l’apprendre de personne. Que dire des crimes contre la femme ? Ni le rapt ni les violences n’étaient une nouveauté ou une singularité. Une des vilaines actions qu’on ait le plus reprochées à César est l’enlèvement, traîtreusement opéré, de la femme du capitaine vénitien Giambattista Caracciolo ; mais l’enlèvement de « la belle comtesse » par Bernardino da Polenta est un fait de tout point semblable ; et l’histoire des quarante jeunes femmes ou jeunes filles de Capoue doit elle-même avoir des précédens.

Quoi encore ! L’assassinat ? Qui donc alors hésitait à tuer, et le sang n’était-il pas le prix du sang ? Le drame ou la tragédie de famille ? Certes, la fin du duc de Gandia, celle du duc de Bisceglie, l’un frère, l’autre beau-frère de César, sont des scènes à donner le frisson ; mais les Manfredi de Faenza, les Malatesta de Rimini, les Este de Ferrare, les Baglioni de Pérouse, les Ordelaffi de Forli, les Visconti et les Sforza de Milan, sont-ils des pères, des mères, des fils, des filles, des frères, des sœurs moins tragiques ? Non seulement assassin, empoisonneur : le poison des Borgia, la poudre blanche qui ressemblait à du sucre, le vin et les pêches homicides ! Mais, comme c’est double plaisir de tromper un trompeur, le cardinal Gil Albornoz et Guido da Polenta n’avaient-ils pas joué déjà, avec le vin et les pêches, à l’empoisonneur empoisonné ? N’avait-on pas une fois déjà pu dire : « Le chien d’Espagne en sait plus que les renards de Romagne ? » Il n’est pas jusqu’au bellissimo inganno qui n’ait été devancé par quelque bello inganno, et vraisemblablement par plusieurs. De quoi enfin est chargée la mémoire du Valentinois ? D’incestes ? À supposer qu’ils soient prouvés, la demeure des Baglioni en était pleine. Aucun des ennemis atteints et éteints par César n’est digne de beaucoup d’intérêt. Assassin de son oncle, Oliverotto da Fermo ! Assassin de son beau-père, Pandolfo Petrucci ! Empoisonneurs, ce Pandolfo, qui aurait fait verser du poison sur les emplâtres du pape Pie III, et Vitellozzo qui en aurait fait verser dans les plaies des blessés !

Aussi, quand Guichardin ou Machiavel ont regardé César, entre ses crimes et ceux des autres, entre ceux qu’il a commis contre