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sauver ses capitaines et ses châteaux qui n’en peuvent mais ! Ils en sont marris, mais ne lui donneront rien, pas d’argent et pas d’hommes, bien entendu ; moins que rien, pas un sauf-conduit qui lui serve à traverser leur territoire, s’il a de l’argent et s’il trouve des hommes ailleurs, « son dernier passage, — l’incursion de 1 ? >01, — ayant laissé un trop mauvais souvenir. »

Jules II, quoique les contemporains s’accordent à le peindre comme « une nature sensible à l’honneur et colérique, » caractère « brusque et impétueux, » « homme cassant et sans égards, » mais tout l’opposé de la duplicité, approuve en secret le refus de ce sauf-conduit, qu’ostensiblement, pour le public ou plutôt pour César lui-même, il fait demander et recommander. Au contraire, il prendrait mal que la Seigneurie, — qui a eu soin de lui faire tracer par Machiavel un portrait de César sur qui le secrétaire est plus que quiconque documenté, — fît quoi que ce fût en faveur du duc. Il va plus loin. Ce que les Florentins ou d’autres pourront faire contre César, il n’en a cure. Comme il n’est pas le plus fort, ou que, trop récemment couronné, il n’a pu encore rassembler et connaître ses forces, il temporise, il use du temps, il use par le temps.

En vain, le duc fait rage, et comme dans un éclair reparaît le vrai César, tel qu’il fut de 1498 à 1502. En vain, il crie et il jure : Si Florence va bronchant et boitant sous lui, il fera accord avec Venise, avec le diable : il ira à Pise ! — Ses colères ne sont plus que des spasmes qui n’effraient personne : « Que Vos Seigneuries, dit Machiavel après avoir vu Georges d’Amboise, en fassent à leur commodité ! » Le Pape ne veut du duc que son bien, et ne lui veut pas de bien : la France l’abandonne à son sort ; ses serviteurs, ses confidens s’en vont l’un après l’autre ; Agapito, Romolino se vendent pour des charges de cour. Autour de lui, à chacun de ces petits coups dont à nouveau la Fortune l’accable, s’élargissent les cercles de mort. Uscito del cervello, irrésolu, changeant, ne sachant où aller, il s’en va à Ostie, et peut-être de là ira-t-il, sur les navires de Mottino, vers la Spezzia : en ce cas, gare à Pise ! avertit Machiavel. César, pourtant, n’est plus bien redoutable : il sort de Rome en litière, un page à ses côtés tenant un cheval en main ; le cas échéant, il ferait le suprême effort de le monter, mais ce serait un effort pénible, et qu’il désire s’épargner.

Ce que, personnellement, le Pape a par-dessus tout à cœur,