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de les rendre libres, Florence et lui, d’aller le servir en Lombardie ; mais ils n’en seront libres que quand Pandolfo ne sera plus. Si l’affaire ne regardait que le duc, il s’en chargerait seul. Et ce n’est pas qu’il se défie de ses forces, mais c’est cause commune, et il désire que, voyant la Seigneurie marcher avec lui au grand jour, « toute l’Italie soit certaine de leur amitié. »

A la vérité, la fin, — en trois points, — de ce discours est un peu trop classique, rappelle un peu trop les harangues dont, à l’imitation des anciens, Machiavel a orné les Istorie florentine, et fait un peu suspecter son affirmation qu’il reproduit textuellement les paroles de César ; mais il n’importe : c’est certainement sa pensée ; bien plus, c’est certainement son mouvement, son allure, son intonation ; c’est certainement son esprit, et plus encore, c’est certainement sa manière. Une seconde dépêche du secrétaire florentin ne permet, à cet égard, aucun doute. Vitellozzo et Liverotto étant morts, les Orsini en mauvais point, Giovanpaolo chassé de Pérouse, les Bentivogli ramenés par une alliance de famille, il reste à « dénicher » de Sienne Pandolfo Petrucci, qui est homme « à allumer avec le temps un feu capable de brûler plus d’une ville, » et à offrir, pour les lancer de là aux rapines, « un nid à tous ces petits seigneurs débridés qui n’ont point de vergogne. » Dans un autre entretien, qui sera le dernier, Machiavel présente enfin au duc les félicitations de la Seigneurie ; il semble même qu’il y joigne des promesses en ce qui concerne la participation éventuelle de Florence à un coup de main sur Castello. Mais le gros gibier, dont la chasse ne se détourne pas, est, pour César, ce Petrucci. De toute façon, et à tout prix, qu’on l’y aide ou qu’on ne l’y aide pas, il se dit résolu à le forcer. Mais peut-être pas si vite : que chuchote-t-on d’un accord très avantageux, bien « gras, » entre le duc et Pandolfo, au moins provisoirement, parce que, Sienne et les Orsini, cela pourrait faire « trop à mâcher » en même temps ? Point d’accord ! continue à jurer César. Sus à la bête ! Le Pape joue : le duc agit. Ces prétendues négociations ne sont que passes d’Alexandre VI, pour « endormir » l’ennemi et l’empêcher de s’enfuir !

Mais Pandolfo est un vieux renard que ne saurait « endormir » même un pape avec des brefs. Quinze jours plus tard, dans la nuit du vendredi 27 au samedi 28 janvier, il quitte Sienne, accompagné de regrets et de pleurs, non sans avoir hautement fait valoir dans un discours public qu’il se sacrifiait à ses