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dignité de la cité de livrer ainsi Guido, et elle ne le ferait jamais ! — Tu parles bien ! répond ironiquement César, mais il n’est que de s’entendre ; je ne vous demande pas de me le livrer ; c’est assez que les Seigneurs le détiennent et ne le lâchent pas, avant qu’il ait fait accord avec moi.

Non seulement le duc est parfaitement calme, mais lui seul est calme dans l’universel désarroi. Aux environs de Sinigaglia, ce ne sont que paysans qui fuient, soldats qui pillent, gens qui se terrent d’épouvante : impossible d’expédier un courrier : « La lettre que j’ai écrite hier soir, je l’ai encore in petto, et je ne sais si je pourrai l’envoyer aujourd’hui. » Mais le ton est donné dans l’entourage de César ; Machiavel étant rentré en conversation avec l’amico, — l’ami qui parle pour le duc qui se tait, lorsque, tout en parlant, ils ne se taisent pas tous les deux, — cet ami lui tient le même langage que le duc, en amplifiant et en renchérissant. Son Excellence n’a rien de plus cher que d’être agréable à la Seigneurie florentine. Quant à ce qu’Elle va faire, voici : — il n’y a plus de motifs d’en faire mystère, car on doit être déjà « après, » si le Pape a su, comme César, « se servir de l’occasion. » — Vitellozzo et Oliverotto sont morts « comme tyrans et assassins et traîtres ; » quant au seigneur Paolo et au duc de Gravina, le duc veut les conduire à Rome, espérant à coup sûr que le Pape a dans les mains à cette heure le cardinal Orsino et le seigneur Julio. » Là on procédera dans les formes, « on ouvrira le procès contre eux, et ils seront jugés juridiquement. » C’est un scrupule qui prend par intermittence le père et le fils, plutôt, il est vrai, au lendemain qu’à la veille des exécutions considérées par eux comme nécessaires ou utiles (ainsi pour Catherine Sforza, dont Alexandre VI voulut justifier la dépossession par une accusation inventée de tentative d’empoisonnement) et l’on voit alors qu’en leur jeunesse, avant le pontificat et avant le duché, ils furent « aux études » de droit. Ainsi l’on jugera, quand on les aura tous, les Orsini et le reste des collegati ; pour Oliverotto et Vitellozzo, ils sont jugés. La vérité, — et ce sera encore la source d’un précepte machiavélique, — est que César, avant d’expédier les deux Orsini qu’il tient, veut être sûr que le Pape tient tous les autres, afin de ne pas laisser derrière lui un vivant qui venge les morts : tant que l’on n’est pas certain de tout tenir, et de tout écraser, mieux valent les semblans de la clémence, — ou du moins de la justice, de la justice