Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une sorte d’approbation publique, afin d’enlever tout point d’appui à ce qui reste de ses ennemis, au duc d’Urbin, à Pandolfo Petrucci de Sienne, à tous ces « petits tyrans débridés, » à cette nichée d’oiseaux de proie, à ce vol de gerfauts, qui plane aux environs de Florence. C’est, de sa part, tout le secret de cette intrigue de trois mois et demi, dont tout l’objet, de la part de Florence, est de l’amuser sans lui rien donner. L’amitié de Florence, l’alliance de Florence, là est vraiment la clef de la situation. Des Orsini, des Vitelli, et puis de Pandolfo Petrucci ou de César, qui l’emportera ? Politique et calcul encore, quand, devant l’Italie et à l’intention du Pape futur, il compose son attitude, se proclame « venu pour éteindre les tyrans et restaurer le domaine de l’Eglise. » Sans doute, dans la première ivresse du succès, il lui arrivera de parler de « son État, » mais il ne bannira jamais complètement cette arrière-pensée angoissante de la fragilité, de la précarité de sa puissance, et toute sa force, toute sa ruse, le lion et le renard qu’il est, tendront à la consolider. En vue de construire, il déblaie le terrain d’un geste énergique, qui, de la Romagne, va s’élargissant. Il brûle les guêpiers, il arrache les ronces, il rase les vieilles huttes qui encombrent le sol où il rêve de bâtir. Après les Orsini et les Vitelli, le duc d’Urbin détrôné, la Préfétesse en fuite, vient le tour de Pérouse et des Baglioni, de Sienne et de Pandolfo Petrucci. Le duc gagne de proche en proche ; il « mange l’artichaut feuille à feuille. » Aux Florentins il ne cesse de faire dire : « Ni crainte, ni soupçon ne peuvent à présent vous arrêter ; » car il est bien armé, et leurs ennemis sont pris.

Pris, non pas tous. Comme il ne pense déjà plus au passé, César ne pense déjà plus à Vitellozzo et à Liverotto, dont il s’est défait ou va se défaire cette nuit même, ni aux deux Orsini qu’il tient et dont il se défera quand il le voudra ; mais il pense aux autres, qui sont libres, intriguent, conspirent, ou simplement existent, et par conséquent le gênent ou l’inquiètent encore. La troisième commission dont il charge le secrétaire est donc tout bonnement d’écrire aux Dix « qu’il désirerait que si, à la nouvelle de la prise de Vitellozzo, le duc Guido (d’Urbin), qui est à Castello, se réfugiait sur votre domaine, Vos Seigneuries le détinssent. » À cette proposition, Machiavel, — tout Machiavel qu’il est ou quel que soit l’homme qu’on devait prétendre qu’il fût, — ne peut s’empêcher de se récrier : il ne serait pas de la