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secrétaire florenlin, car cet envoyé qui, tout de suite, reçoit la confidence de la joie de César, — confidence « d’après, » peu commune encore de la part d’un homme qui ne connut jamais les confidences « d’avant, » — c’est Machiavel en personne. « Le duc m’a appelé vers deux heures de nuit, et avec le meilleur visage du monde il s’est réjoui avec moi de ce succès, disant qu’il m’en avait parlé la veille, mais non découvert le tout, comme il était vrai. Il y ajouta des paroles sages et plus affectionnées qu’on ne saurait croire envers cette cité ; énumérant toutes les raisons qui lui font désirer votre amitié, pourvu que de votre côté elle ne manque pas : si bien qu’il me fit demeurer ammirato. »

Machiavel, si j’ose ainsi parler, n’en revient pas. Comment ! voilà seulement quelques heures qu’Oliverotto et Vitellozzo ont été étranglés ; les Orsini sont à deux pas de là, en prison, attendant leur sort, et César accueille Machiavel « avec le meilleur visage du monde ! » Il est pleinement maître de lui, en pleine possession de ses moyens, il a toute sa tranquillité d’âme, toute sa lucidité d’esprit : il ne perd pas une minute, et il n’est déjà plus à l’événement passé, mais à ses suites, à ses conséquences, à l’avenir : il y est de toute sa diplomatie fertile en ressources, de toute sa dialectique abondante en argumens. « Il conclut en me chargeant d’écrire de sa part trois choses à Vos Seigneuries. La première, que je me réjouisse avec elles de son succès, puisqu’il a éteint les ennemis très capitaux du Roi, de lui et de vous, et balayé toute semence de scandale, et cette zizanie qui était pour gâter l’Italie ; de quoi Vos Seigneuries lui devaient avoir obligation. » La deuxième recommandation de César est de prier la Seigneurie qu’il lui plaise « de montrer à tout le monde qu’elle est son amie, » surtout qu’elle fasse toute démonstration de l’être ; — et il ne le cache nullement : il ne suffit pas qu’elle le soit, il faut qu’elle le montre : au besoin, il préférerait qu’elle le fût moins et qu’elle le montrât davantage, car chez lui, derrière tout cet étalage de sentimens, il n’y a pas trace de sentiment : il n’est que politique et calcul. Il n’était que politique et calcul avant l’affaire de Sinigaglia, quand il travaillait, avec tant d’ingéniosité et de ténacité, à mettre Florence dans son jeu, en tout cas à s’assurer sa neutralité bienveillante, à obtenir la condotta, et à regarder s’ouvrir ainsi une porte en Toscane. — Politique et calcul après l’affaire de Sinigaglia, quand il voudra du moins se faire payer le service rendu, obtenir de la Seigneurie