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partit de Fano, à ces Orsini qu’il voulait qu’ils retirassent tous leurs gens de Sinigaglia et qu’ils se logeassent hors la ville dans ces maisons que je dis ci-dessus qui sont près de la porte, et, quant à leurs personnes, s’ils voulaient loger dans la ville même, il s’en remettait à eux.


Ce qu’il craint par-dessus tout, c’est d’éveiller leurs craintes ; et ce en quoi il se confie surtout, c’est dans la confiance qu’il travaille à leur inspirer. Au surplus, tout, jusqu’aux plus petits détails, est prémédité, réglé.


Il écrivit etiam qu’il voulait que toutes les portes de la ville fussent fermées, à l’exception de celle qui regardait vers ces maisons, afin qu’il ne pût entrer que les gens seulement qu’il voulait.


Avant donc qu’il parte de Fano, il donne à ses soldats des ordres pour la route, aux Orsini des ordres pour sa réception ; et quand il part le matin, au jour, il s’en va vers Sinigaglia, lentement, passo passa, au pas, « comme peuvent marcher les infanteries en ordonnance. » Ce sont de belles troupes, c’est un beau paysage, et cela fait un beau spectacle dont Machiavel jouit vivement. « Et vraiment, pour la quantité et qualité des gens, et pour l’humanité (per la umanità) du site qui les découvrait tous et ne gâtait pas leur ordre (la route étant toute droite, toute plane entre la mer et les monts), il me parut un rare spectacle de les voir. »

Les condottieri se portent à la rencontre du duc, alors que la tête de l’armée est encore à trois milles de Sinigaglia : Orsini et Vitelli commencent à se présenter, non pas tous ensemble, mais un à un ; « d’où l’on présume qu’ils y étaient allés, non par délibération commune, mais au hasard, forcés par la nécessité et par la honte, ou bien par la bonne fortune d’autrui, et par leur mauvaise. » Parmi eux Vitellozzo, qui « vint sur une petite mule, sans armure, avec, au dos, un sarrau étroit, noir et usé, et, par-dessus, une pelisse noire doublée de vert ; et qui l’eût vu n’aurait jamais jugé que ce fût celui sous les auspices de qui deux fois cette année on avait cherché à chasser d’Italie le roi de France. Son visage était pâle et hébété, ce qui dénotait à chacun facilement sa future mort. » A lui et aux autres César fit le meilleur accueil, et ils s’en retournèrent vers Sinigaglia, causant tantôt avec le duc, tantôt avec ses compagnons.

Cependant l’avant-garde des gens d’armes avait franchi le pont ; selon l’ordre de César, elle s’était arrêtée entre le pont et la