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dans la même intention, pour inspirer, par son étalage de confiance, une pleine confiante à ces alliés qui étaient des adversaires, à ces conspirateurs qui se présentaient en amis :


Pour donner plus de cœur à ses ennemis et pour montrer peu d’ordre dans sa venue, il n’avait point assigné de place aux chariots dont cette armée est très copieusement munie, mais il les avait laissés avancer à la défilade.


Ici, la narration de Machiavel se fait précise comme un procès-verbal ; il décrit les lieux, mesure les distances, relève les points de repère.


De Fano à Sinigaglia, comme le peuvent savoir Vos Seigneuries, il y a environ 15 milles. Chacune de ces villes est au bord de la mer et le chemin qu’on fait de l’une à l’autre est tout droit (tout plan, tutto piano), placé entre la mer et les monts qui se resserrent en tel endroit avec la mer de sorte que, de leurs racines aux eaux, il n’y a pas trente brasses d’espace, et le plus que cet espace s’élargisse ne fait pas tant de terrain qu’un demi-mille ne soit davantage. Sinigaglia a du côté de la tramontane la mer, duquel côté est la rocca ; elle a, du côté du couchant, un gros fleuve qui passe au pied de ses murailles, et qu’il faut traverser à ceux qui partent de Fano pour aller là. Il n’y a sur ce fleuve qu’un pont de bois qui n’aboutit pas à la porte de la ville, mais aux murailles et loin de celles-ci environ trois lances. Sur la main gauche, le pont passé, il y a une petite porte, loin comme quelque six lances ; et sur la main droite, loin comme deux portées d’arbalète, — il faut tourner la muraille pour y arriver et s’éloigner davantage du fleuve, — est une autre grande porte avec ponts-levis et autres engins accoutumés. En avant de cette porte qui est proche du côté qui regarde le midi, sont beaucoup de maisons, non en forme de bourg, mais détachées l’une de l’autre, si bien qu’elles laissent une place au milieu, laquelle, par un de ses côtés, s’étend jusqu’au fleuve que j’ai dit ci-dessus.


Les lieux ainsi dépeints, voici maintenant les hommes :


Se trouvaient à Sinigaglia, quand le duc se trouvait à Fano, Vitellozzo, le seigneur Paulo Orsino, le duc de Gravina, et Liverotto da Fermo avec 2 000 fantassins et environ 300 « escopettiers » (scoppiettieri) à cheval : et le reste de tous leurs gens d’armes et fantassins était par certains châteaux d’alentour, à une distance de plus de six milles.


Grave imprudence, car César, qui connaît les uns et les autres, les lieux et les hommes, a pris de près ses précautions :


Et parce que ceux-ci (les condottieri) pensaient à pouvoir forcer le duc, il était nécessaire qu’il pensât à les forcer. Et sachant bien quels étaient leurs desseins, et le site de la terre comme il était, et comment il pouvait être attaqué et attaquer les autres, il écrivit, le soir précédant le matin où il