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C’est une poursuite lente, une chasse à la trace, les pas dans les pas.


Ainsi, quand ils se mûrent pour aller à Sinigaglia, il partit de Cesena, et quand il arriva à Pesaro, des nouvelles vinrent que Sinigaglia avait été occupée par les Orsini… à l’exception de la citadelle.


La ville prise, les condottieri déclaraient vouloir la tenir pour le duc, et, comme la forteresse résistait, ils sollicitaient Son Excellence de s’avancer avec ses gens et artilleries pour la réduire. César voit là une contre-mine qui coupe et évente la sienne, un autre piège dressé contre le sien ; il feint d’y tomber. Pour ne pas affaiblir l’opinion où ils étaient qu’ils pourraient le tromper, dans la marche de Cesena à Fano, « il avait fait venir ses gens disséminés à ce point que personne ne les avait pu compter ni savoir même à peu près leur quantité ; et, entre autres moyens dont il avait usé pour les cacher, il n’avait pas assigné de chef à plus de 100 hommes d’armes et 100 arbalétriers à cheval, qu’il avait « égrenés » — fatti spicciolati — et envoyés loger en divers endroits par ses terres. » Très secret et mystérieux jusqu’au dernier moment, ce n’est qu’à son départ de Cesena qu’il leur indique où ils doivent se rendre près de Fano et à qui ils doivent obéir. Le « grand ordre, » que l’évêque de Volterra signalait naguère, avec le « grand secret » et la « grande rapidité, » comme l’une des qualités caractéristiques de César, règne plus que jamais dans cette armée qui va le duc seul sait où.


Arrivé à Fano le 30 du mois passé avec toute l’armée autour de lui, et voulant le matin de bonne heure chevaucher vers Sinigaglia, il ordonna à tous ses chefs que chacun fît en sorte d’être le matin à dix-huit heures avec ses compagnies rangé sur le bord du fleuve qui se trouve à six milles de Fano : et ayant disposé qui aurait à former l’avant-garde et qui, l’arrière, et où devraient être les infanteries, le matin à l’heure dite, chaque homme fut à son poste.


A l’avant-garde, Ludovico della Mirandola, Raffaello de Pazzi, et deux autres condottieri avec quelque 500 chevaux ; puis une bande de plus de mille Gascons et Suisses, « et puis Son Excellence en armure, sur un cheval bardé, au milieu de son escadron ; et puis, après, tout le reste de ses gens d’armes et chevaux ; sur la main droite, vers les monts, tout le reste de ses infanteries. » Cet ordre était arrêté si minutieusement que César avait pu le pousser jusqu’à l’apparence du désordre, toujours