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Le soir qui va venir est doux à mon silence ;
La solitude nue est assise à mes pieds,
Et l’horloge muette où l’aiguille s’avance
Sonnera bientôt l’heure où tout est oublié.

Mais qu’un rayon perdu du soleil qui se couche
Par la croisée en feu descende sur ma main,
Ou qu’un cher souvenir effleure de sa bouche
Ma mémoire tremblante à son souffle incertain,

Que la rose qui meurt en ce vase de Perse,
Odorante, à l’adieu de son éclat défunt,
Avec trop de douceur dans l’ombre molle, verse
Son suprême pétale et son dernier parfum,

Alors mon cœur — ce cœur qui bat dans ma poitrine
Et que je croyais mort d’être silencieux —
Me remplit tout à coup d’une angoisse divine
Qui monte brusquement en larmes vers mes yeux,

Et tout mon vieux passé de tourment et d’orage
Dont palpite l’éclair et gronde l’écho sourd
De son reflet ardent empourpre mon visage
Que vaincront de nouveau la colère et l’amour.


LE REPOS


Eteins, ô visiteur, cette torche importune ;
Ne penche pas ainsi sa flamme. Penses-tu
Que ses gouttes de feu en tombant une à une
Vont ranimer la cendre où, vivant, j’ai vécu ?

Non. Si même la pierre à l’étincelle vaine
Entr’ouvrait un instant sa froide dureté,
Et si, dans ma nuit morne, insensible et lointaine,
Revenaient jusqu’à moi la vie et la clarté,

Crois-tu donc, ô Passant, qu’au désir de revivre
Ma poussière tranquille, inerte et sans regret,
Renonçant au bienfait de la mort qui délivre,
Dans l’ombre ténébreuse encor palpiterait ?