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CONSEIL


Je vous ai dit, mon cœur, en ce grave matin
Où, sur la chambre vide et le foyer éteint,
A l’aube, en frissonnant, nous fermâmes la porte,
Avant que de tenter d’une sandale forte
La route qui conduit du seuil de la maison
Vers le jeune soleil d’un nouvel horizon,
Je vous disais : Mon cœur, soyez fort et stoïque,
Car le chemin est fourbe et la voie est oblique,
Et le caillou fréquent y fait buter les pas ;
La source sera loin lorsque vous serez las ;
Lorsque nous aurons faim, l’arbre dans sa verdure
N’aura pour nous qu’un fruit amer comme une injure ;
Nous saignerons sans doute aux ronces du fossé ;
Le sable sera rouge où nous aurons passé.
Etes-vous prêt, pourtant, à ces sévères choses,
Vous que l’épine aiguë éloignait de ses roses,
Vous, si faible et si doux, mon cœur, êtes-vous prêt
A vous perdre avec moi dans la sombre forêt,
A traverser la mer où souffle le vent rude,
A subir longuement, après la solitude,
Le fouet du charretier, le coude du passant,
La corne du taureau, le cri du chien méchant ?
Etes-vous prêt, au gîte où vous croirez atteindre,
A voir l’huis se fermer et la lampe s’éteindre,
À ce que le laurier que vous vouliez cueillir
Devienne un rameau vain qui semble se flétrir ?
Saurez-vous affronter l’opprobre et l’avanie ?
N’aurez-vous pas horreur de la route haïe,
Mon cœur ? Consultez-vous, si vous êtes de ceux
Qui vont obstinément vers un but hasardeux,
Fier, si luit un instant, sur votre destinée,
La pourpre d’un beau ciel au soir de sa journée ?


PRINTEMPS


De tout ce beau printemps où renaissent les roses
Et qui pare la terre et qui change les cieux,
Dans ma chambre fermée où les vitres sont closes,
Assis auprès de toi, je n’ai vu que tes yeux.