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je l’ai déjà dit, que l’on raisonne de la paix, et que l’on fait des préparatifs pour la guerre. » Avec Bologne, il se peut que le duc s’accommode, et qu’il renonce, au bout du compte, à l’envie qu’il en avait, « parce qu’il lui a été démontré que mieux vaut faire une amitié qui puisse durer que de prendre une terre qui ne se puisse tenir. » En outre, les Orsini et les Vitelli lui ont fait un signe à le rendre sage, s’il ne l’eût pas été, et lui ont montré qu’il faut penser plutôt à maintenir ce qui est acquis qu’à acquérir davantage ; « mais le moyen de maintenir, c’est d’être armé de ses propres armes, de cajoler ses sujets, et de se faire de ses voisins des amis. » Machiavel ajoute, en langage chiffré, pour bien marquer l’importance de l’observation : Celui-là aura le dernier mot qui saura le mieux engager les autres, et celui-là les engagera qui se trouvera le plus fort de gens et d’amis. »

Or, tandis que Machiavel aiguise ses maximes et ses formules, tandis que la Seigneurie geint et le noie dans des longueurs dilatoires dont il enrage, mais qui, après tout, ne furent peut-être pas si maladroites, le duc a pris de l’avance : il est « le plus fort de gens et d’amis, » il a « le mieux su engager les autres, » et l’on peut prévoir que c’est à lui que restera le dernier mot. Il a « caressé merveilleusement » les Bentivogli. Que le pronotaire se « déprêtre, » — si spreti, — « se défroque » (ce qui n’est pas pour effrayer, ni pour scandaliser César), et l’on fera entre Borgia et Bentivogli un beau mariage qui sera une bonne alliance entre Bologne et Imola, ou même Rome, car Alexandre VI est dans le jeu, et s’y intéresse autant que le Valentinois. Paolo Orsini donne dans le panneau ; l’astucieux Pandolfo Petrucci lui-même y donne, ou feint d’y donner. C’est contre Vitellozzo et Giovanpaolo Baglioni surtout que le duc paraît, animé. Il en parle molto sinistramente, mais comme quelqu’un qui est sûr de les tenir. Machiavel est ravi de sa perspicacité : il l’avait bien prédit, que César triompherait ! « Si le premier jour j’eusse écrit ce que je pensais, et que vous le lussiez maintenant, cela vous paraîtrait une prophétie ; alléguant entre les raisons qui me décidaient, qu’il était seul, qu’il avait affaire à plusieurs, et qu’il lui était facile de briser de toiles chaînes. » Aussi, vive Dieu ! les a-t-il brisées, et il en a culbuté plus de quatre ! César est en veine de franchise ; il lâche la moitié de la vérité, un peu pour « fendre avant le coin, » comme on dit, beaucoup pour discréditer Giovanpaolo aux yeux des Florentins, dont il se flatte