Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/859

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Au Bignon, le 26 septembre 1774.

… Nous partirons d’ici le 25 novembre à peu près. Je redoute ce moment, la solitude du Bignon convenant mieux à ma situation, quoique j’espère bien trouver ma retraite au milieu de Paris… Ce que j’ai pu démêler des projets de ton père, c’est qu’il veut en sortant du château d’If te mettre encore quelque temps dans quelque ville où tu aies ta liberté et même occasion de vivre avec tout le monde, pour t’éprouver avant de se réconcilier publiquement avec toi. A présent mon occupation sera de hâter ce moment le plus que je pourrai, et j’espère que tu me rends la justice de croire que je n’y oublierai rien, sans compter que du moment où tu me désireras, je suis toujours à tes ordres…


Au Bignon, le 7 octobre.

… Les reproches que tu me fais dans tes lettres, mon bon ami, m’ont d’autant plus affectée que je les mérite moins ; cela joint au tableau que tu me fais de ta situation m’a valu une bonne migraine. Mais elle s’est passée, n’en parlons plus. J’ai tout de suite parlé à ton oncle et ensuite à ton père sur l’article de la place. Je leur ai fait valoir la raison du travail, et ton père m’a dit qu’il écrirait à M. d’Allègre [commandant du château d’If] pour te donner un endroit où tu pusses travailler et même coucher. Pour ce qui est de la liberté de la place, j’ai eu beau prier et supplier, je n’ai rien obtenu de plus ; tu dois savoir mieux que moi, mon ami, qu’on ne fait faire à ton père que ce qu’il veut, et je crois que le meilleur moyen que tu aies pour obtenir quelque chose de lui à présent serait d’employer M. le commandant. Il ne cesse de me répéter que c’est lui qui réglera sa conduite ; ainsi, mon bon ange, si tu pouvais faire en sorte qu’il lui demandât pour toi la liberté de la place, je suis bien persuadée qu’il ferait tout ce qu’il voudrait, tout comme je crois fort qu’il influera beaucoup à ta sortie. Tu n’as pas de meilleur parti à prendre que de le gagner par de bonnes façons. Mets en usage, mon bon ami, cette facilité que tu as à plaire à tout le monde quand tu le veux…

Quant à mon séjour à Paris, tu sais, mon cher ami, que c’est toi qui m’y as envoyée ; du moment où je t’y déplairai, tu n’as qu’à me demander où tu veux que j’aille, et je m’y rendrai tout de suite, n’ayant d’autres volontés que les tiennes. Je ne sais si je t’ai accusé réception du petit billet qui était dans l’avant-dernière lettre que tu m’écrivis de Manosque ; tu m’y dis bien des folies, et la moindre n’est pas celle qui regarde la nuit de Tain où je n’ai passé que très peu d’heures. Quant aux autres polissonneries, je vous prie de croire, monsieur le comte, que je suis à présent une demoiselle trop chaste pour les entendre. J’ignore absolument ce langage. Adieu, mon bon ange, je t’aime toujours de tout mon cœur et voudrais bien te le prouver…


Au Bignon, le 10 octobre 1774.

… Nous devons partir les uns, savoir ton père et Mme de Pailly, du 20 au 25, et ton oncle, mon beau-frère, ma sœur et moi le 2 novembre… Tout le monde mourait d’envie de partir le 15, mais mon beau-père a tenu ferme.