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avait été plus retardé. Le Black Friday, le « Vendredi noir, » n’eut lieu qu’en mai 1866, et il fut tel qu’il fallut suspendre encore une fois l’acte de 1844 et maintenir pendant trois mois l’escompte à 10 pour 100.

La guerre franco-allemande de 1870 éclata au moment où la liquidation était bien terminée et où l’on venait seulement d’entrer dans la période de reprise des affaires. Aussi cette calamité, en dépit de proportions considérables, ne donna-t-elle pas lieu à une crise générale ; la France seule fut atteinte. Au contraire, la guerre avait causé une si grande consommation et, disons le mot, une telle dilapidation de tous les produits que les stocks ne suffirent plus à la demande. L’industrie et le commerce prirent donc une allure brillante dès 1871, et la finance trouva de beaux jours dans la négociation des grands emprunts et des constitutions de sociétés qui suivirent. L’indemnité colossale des 5 milliards grisa toutes les têtes, les prix de toutes choses haussèrent dans de grandes proportions, les métaux surtout et notamment le fer qui en 1873 s’éleva au double de ce qu’il était en 1867 ; le charbon aussi avait doublé de prix.

Un banquier viennois que je rencontrai dans ces circonstances convint avec moi du danger que l’on courait ; il allait plus loin même ; les 700 millions de valeurs nouvelles que l’Autriche venait d’émettre en un seul trimestre lui paraissaient, à juste titre, présager un krach qu’il ne craignait pas de prédire, et ce fut en effet Vienne qui en donna le signal. Aussi, lorsque je le revis quelques mois plus tard, m’avançai-je vers lui, la main joyeusement tendue pour le féliciter de sa clairvoyance. J’avais oublié que les crises sont toujours précédées par une sorte d’épidémie de folie spéculative à laquelle on résiste difficilement et mon interlocuteur me le fit bien voir en me répondant qu’en effet sa prédiction s’était réalisée, mais qu’il n’en était pas moins ruiné, il n’avait pas pensé que les choses iraient si vite !

Ainsi que dans plusieurs occasions précédentes, et comme nous l’avons vu notamment en 1864, la crise de 1873 se manifesta par deux secousses successives ; en général, la première a lieu dans le pays qui donne le branle, elle se répercute ! sur le reste du monde et à son tour, quelque temps après, la plus engagée des autres nations provoque une nouvelle panique. La crise de Vienne avait eu lieu en mai, les Etats-Unis l’aggravèrent en septembre.