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Machiavel, les sens tendus, compare et pèse : « Qui examine les qualités de l’une et l’autre partie voit en ce seigneur un homme courageux, fortuné (aimé de la fortune) et plein d’espérance, favorisé par un Pape et par un Roi, et injurié par ceux-ci (les Orsini, les Vitelli) non seulement dans un État qu’il voulait acquérir, mais dans un qu’il avait acquis ; ces autres, on les voit jaloux de leurs Etats, inquiets de sa grandeur avant qu’ils l’eussent injurié, beaucoup plus inquiets encore, maintenant qu’ils lui ont fait cette injure. Et l’on ne voit pas comment le duc pourrait pardonner l’offense et les collegati quitter la peur, ni par conséquent comment ils pourraient céder l’un à l’autre dans l’entreprise de Bologne et dans le duché d’Urbin. » Un seul moyen pour eux de se remettre : tomber ensemble sur un tiers. Mais qui ? Ce soupçon met au secrétaire martel en tête. Qui ? Florence ou Venise ? « L’entreprise contre Vos Excellences est jugée plus facile quant à vous, mais plus difficile quant au Roi (de France, protecteur des Florentins). Le duc aimerait mieux l’une et les conjurés l’autre. On ne croit ni à l’une, ni à l’autre, mais on en raisonne comme d’une chose possible. » Ce qu’il faut rendre impossible, c’est que la réconciliation se fasse aux frais et sur le dos des Florentins ; aussi faut-il brouiller de plus en plus le duc et les collegati, les falliti de la Magione.

Tout de même, à la longue, il semble percer quelque chose du projet de César. C’est très vague, et l’on ne saurait affirmer. « Mais pourtant qui se détermine croit que ce seigneur « ébranchera » quelqu’un de ces confédérés ; et moi, je le crois d’autant plus que j’en ai entendu chuchoter quelques mots à ses premiers ministres. » Surtout, de plus en plus, l’activité et le secret de César stupéfient Machiavel, dans la double acception italienne de stupire, stupendo, étonnement et admiration, étonnant et admirable. Tout ce qu’on dit, il ne le redit pas, parce qu’on dit des choses peu croyables, et de tout à fait incroyables, et que, comme toujours autour de César, on bavarde beaucoup, mais on ne dit rien et on ne sait rien. Ainsi, l’on dit que l’accord est fait. Mais l’est-il ? Et, s’il l’est, est-il ce qu’on dit ? Les préparatifs, envois d’argent, courses de messagers, mouvemens de troupes, redoublent. « En outre, j’entends, par ses premiers au secret, — da quesli suoi primi al secreto, — déblatérer contre les Orsini, les appeler traîtres ; et même, ce matin, parlant de l’appointement (de l’accord) avec messer Agapito, il