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dégoût telle vieille méthodiste, fidèle aux visites quotidiennes de l’Esprit et qui pourtant ne se faisait aucun scrupule de mentir. Qu’y a-t-il de réel dans la foi du plus grand nombre, et, s’ils cessaient de croire, quel changement cela entraînerait-il dans leur vie ? Bien plus, chez ces gens d’église qu’elle a étudiés de si près, n’arrive-t-il pas souvent que, soit manie routinière, soit hypocrisie consciente, on couvre d’un manteau de religion les petits calculs de l’égoïsme. Plus tard, dans ses propres romans, et notamment dans Middlemarch, elle décrira sans amertume cette comédie de gestes et de paroles, cette mimique chrétienne à laquelle rien de sérieux ne correspond. Mais, dans la prime fougue de son incrédulité, elle se montra et plus exaltée et plus dure. Encadrée jusqu’alors dans les dogmes et la pratique religieuse, puis soudainement affranchie, sa riche nature morale se redressait dans une conscience d’elle-même un peu trop superbe et prenait volontiers, en face de la commune vertu des croyans, des airs de pitié ou de défi. « Je vous le dis, — criait-elle presque à un ami qui vantait devant elle l’influence moralisante de l’Évangile, — et je vous le dis une fois pour toutes. Ma conduite obéit aujourd’hui à des considérations bien plus hautes, et je me fais du devoir une bien plus noble idée que lorsque je croyais encore à l’Évangile. »

Comme beaucoup de convertis, elle s’excite à tout glorifier de sa foi nouvelle, à tout mépriser du Credo qu’elle abandonne. Elle se compare aux croisés, elle va reprendre aux usurpateurs le tombeau où l’on tient la vérité enchaînée. Et celle-ci ressuscitera. « Je vis, ajoute-t-elle, des momens indicibles ! »

Quant aux Églises, elles n’ont que trop duré. Jadis, à la lecture de Walter Scott et au spectacle du monde, elle se demandait si la religion était le fondement nécessaire de la morale. Inquiétude sérieuse et profonde et qui, du moins, répondait à la lente évolution de sa propre vie intérieure. Mais, dans la fumée de ces semaines d’exaltation, l’objection, démesurément gonflée, cesse d’être reconnaissable. Entre l’Évangile et la perfection, elle pense découvrir une antinomie. « Le christianisme, c’est le calvinisme, écrit-elle, et le calvinisme c’est l’égoïsme. » La vertu chrétienne n’est pas assez élevée pour regarder le bien en face : craintive ou intéressée, il faut toujours qu’elle touche du côté de l’enfer, ou du côté du ciel.

Les actes suivent les paroles. Marie-Anne veut rompre