Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/805

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’elle une initiative plus compliquée. Loyalement, et sans doute aussi par cette ambition d’excellence qui l’animait alors, elle essaie d’entendre les voix célestes et de sentir Dieu. Effort d’autant plus vain qu’elle y apporte plus d’assiduité et de contention. Dieu, malgré tout si loin d’elle, est une des premières tendresses dont elle ait douté, oh ! non pas douté de façon tragique, et elle est revenue de cette expérience manquée, non pas encore moins croyante, mais, toute préparée à ne plus croire. Quand d’autres voudront lui démontrer que les promesses des dogmes sont un leurre, elle n’aura que trop de facilité à lire, dans ses propres souvenirs, une preuve nouvelle, et la meilleure pour elle, de la justesse de leurs leçons.

Toujours à son insu, une autre difficulté fermentait en elle et l’acheminait depuis longtemps à accepter un jour sans secousse et sans résistance les objections du rationalisme contre la divinité de Jésus-Christ. Comme cette difficulté contient en germe la doctrine que George Eliot va bientôt substituer au christianisme, il est nécessaire d’en indiquer ici quelque chose. Un jour qu’on lui demandait ce qui avait commencé à la détacher de l’orthodoxie, elle répondit avec une vivacité assez insolite chez elle : « Oh ! Walter Scott ! » De prime abord, on ne voit pas bien ce que le grand romancier vient faire ici. Le lien est logique pourtant. Très curieux de merveilleux, et peintre excellent du fanatisme, Walter Scott semble ignorer les formes plus calmes et plus ordinaires du sentiment religieux. Or, c’est là précisément ce qui suggéra à George Eliot ces premiers étonnemens qui, tôt au tard, conduisent au doute un esprit comme le sien.

Voilà donc en une représentation si touchante et si vraie de la vie humaine, les meilleurs, les plus vertueux des personnages chez qui aucune influence dogmatique ne paraît sensible. Morale et formules de foi, vertu et dévotion seraient donc choses distinctes et séparables qui peuvent sans doute se rencontrer en une même personne, mais qui ne s’appellent ni ne s’impliquent nécessairement. La propre expérience de Marie-Anne confirme abondamment ces impressions de lecture. Ce libre penseur qu’elle est allée convertir, M. Bray, mais c’est un excellent homme, cordialement bon, désintéressé, préoccupé d’améliorer le sort de ses ouvriers. D’un autre côté, chez beaucoup, la religion, plaquée du dehors sur la vie morale, ni ne la suppose, ni ne l’entretient, ni ne la grandit. Marie-Anne se rappelait avec