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Crise religieuse ! le mot est un peu trop fort. L’obsession des romans de George Eliot, et le souvenir des angoisses par où nous avons vu passer d’autres « victimes du doute » risque de nous donner le change. Qu’on ne s’attende pas à rencontrer, chez l’auteur du Moulin sur la Floss et de Romola, d’abord une sorte de nuit de Jouffroy, puis, jusqu’au dernier jour, des sursauts de foi renaissante. Rien de tout cela. Si elle était née deux siècles plus tôt, l’histoire religieuse de George Eliot tiendrait en aussi peu de lignes que celle de Shakspeare ou de La Fontaine et aujourd’hui même nous n’aurions pas le droit de nous arrêter un peu longuement à ce chapitre si d’ailleurs il ne nous donnait le moyen de pénétrer plus avant son caractère et de suivre de plus près la marche naturelle de ses idées.


I

Ce n’est pas qu’elle ne se soit fait à cet égard de curieuses illusions. Dans ses premières années de tâtonnemens et d’efforts, son imagination généreuse a cru, pendant quelque temps, à une vocation de sainteté. « Je dois admettre, écrivait-elle en 1838, — et ce must a toute une saveur de lutte et d’immolation, — je dois admettre que les plus heureux sont ceux dont la tête ne fermente pas en projets de bonheur terrestre, qui regardent cette vie comme un simple pèlerinage, non comme un lieu de repos et de plaisir. Mais, dans ma jeune expérience et mon étroite sphère, je n’ai jamais été capable d’atteindre à ce résultat. Comme Johnson le disait pour l’usage du vin, l’abstinence totale m’est plus facile que la modération. » C’est si artificiel, c’est si peu elle, ce détachement de la créature ; mais elle lutte, elle veut avoir raison d’elle-même, et, comme elle dit encore dans sa langue apprise, étouffer « les révoltes de la chair et du sang. » L’intéressant déjà est que, en pleine ferveur, le sentiment religieux semble se concentrer chez elle en un effort moral. Quand plus tard Dinah Morris prêchera sur la place de Hayslope, sa religion sera plus affective, plus humaine et la jeune méthodiste parlera, — on se rappelle avec quelle suavité, — de ce Jésus qui, « pour dire aux pauvres de bonnes paroles, est descendu du ciel, tout comme moi, quand j’étais, une petite fille ignorante, je croyais que. M. Wesley avait fait [Adam Bede, I, 2]. » Cette forme de religion, plus immédiatement et directement religieuse, si l’on peut ainsi