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En le faisant, il n’a pas seulement satisfait le goût qu’il avait pour la science grecque. Ce que nous savons de lui nous montre qu’il aimait la société, qu’il tenait à réunir des amis autour de lui et qu’il se plaisait surtout dans la compagnie des personnes intelligentes et lettrées. On lui attribue la création de ce qu’on appelait la cohors prætoria. C’était une sorte de garde d’honneur dont le général s’entourait et où il prenait ses aides de camp pendant la bataille. Elle se composait surtout de jeunes gens de bonne maison qui recevaient une solde et demie (sesquiplex stipendium) et faisaient leur apprentissage sous les yeux d’un chef renommé. Celle de Scipion avait ceci d’original que, comme faisait Bonaparte en Égypte, il y a souvent introduit des savans et des gens de lettres. Polybe était à côté de lui pendant que brûlait Carthage. Le poète Lucilius l’accompagnait dans son expédition d’Espagne. Quand on lit qu’au plus fort du siège de Numance, il trouvait un moment pour causer de science et de philosophie, on songe à la définition que Pascal donne de l’honnête homme, c’est-à-dire de l’homme du monde, qui ne met enseigne de rien, qui ne s’enferme pas dans sa profession et sait s’en évader, quand il le faut, « pour vivre simplement et tranquillement avec ses amis. »

Il faut donc croire que c’était une sorte de besoin pour lui d’être entouré de compagnons qui partageaient ses goûts et s’associaient à ses études, puisqu’il n’y renonçait pas même dans ses voyages lointains et au milieu de ses soldats. Ce besoin trouvait, plus facilement à se satisfaire quand il était à Rome. L’amitié d’un homme comme lui, d’une si haute naissance, d’une si grande réputation, devait être très souhaitée. Dans le grand nombre des gens de mérite qui désiraient entrer dans son intimité, il lui était aisé de choisir les meilleurs et de se les attacher. Il l’a fait de fort bonne heure, dès son retour à Rome, après sa campagne de Macédoine et son excursion en Grèce. Il avait à peine vingt ans, quand il a commencé à grouper autour de lui cette jeunesse intelligente dont on nous fait tant d’éloges. Ce qu’en dit Cicéron, ou plutôt ce qu’il en laisse entendre, car ses paroles ont besoin quelquefois d’être interprétées, nous montre quelle fut l’importance de cette réunion, et qu’il faut essayer de la connaître, si l’on veut savoir ce qui amena la victoire définitive de l’hellénisme à Rome.


GASTON BOISSIER.