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leurs basses complaisances travaillent à évincer le brave client romain de la table du patron. Il n’y avait rien de pareil dans les rapports de Polybe avec Scipion. C’est Scipion qui paraît l’obligé ; il a sollicité les conseils de Polybe et les suit avec déférence. Ces relations prirent, dès les premiers jours, un caractère d’intimité affectueuse, qui permettait à Polybe de dire : « Il me traitait comme un père, et je le regardais comme mon propre fils. « La bibliothèque de Persée, que Paul Emile avait installée chez lui, dut servir de lien entre eux. Polybe empruntait des livres à son ami ; ils devaient les lire ensemble, et les lectures devenaient ensuite le sujet de leurs entretiens. N’est-ce pas dans ces conversations que Scipion a pris son goût pour Xénophon qu’il préférait à tous les écrivains de la Grèce ? C’était bien en effet celui qui, par la finesse de son langage et la modération de ses idées, devait lui convenir le mieux.

Ses relations avec Panælius ne paraissent pas avoir été moins étroites ; il semble qu’il ne pouvait pas s’en passer. Quand il fut chargé par le Sénat, dans des circonstances graves, d’une ambassade importante auprès des peuples et des rois de l’Orient, il tint à l’emmener avec lui et le garda tout le temps du voyage. A propos de cette liaison, qui était fort remarquée, Cicéron laisse entendre à plusieurs reprises que les amis de Scipion, ceux qui vivaient dans sa familiarité, étaient des disciples de Panætius, et il dit même formellement de deux d’entre eux, P. Rutilius Rufus et C. Ælius Tubero, « qu’ils étaient devenus presque des philosophes accomplis. » N’en doit-on pas conclure que Panætius, dans ses entretiens, ne s’adressait pas à Scipion tout seul, mais aussi à son entourage ; qu’il donnait un enseignement plus suivi, plus régulier, qui réunissait quelques personnes ; qu’enfin c’était une sorte d’école qui s’était ouverte dans une maison privée, sous la protection d’un grand personnage ? On jugera sans doute que cette protection n’était pas inutile, si l’on se souvient qu’on venait de chasser de Rome, sur les injonctions de Caton, les trois philosophes que les Athéniens y avaient envoyés comme ambassadeurs, et qui profitaient de leur séjour pour faire des leçons en public. Mais dans la maison d’un citoyen, surtout dans celle d’un Cornélius, les menaces de Caton n’avaient pas d’accès ; Scipion pouvait se permettre d’y accueillir un philosophe, d’écouter ses leçons, et même de rassembler quelques amis pour les entendre.