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femme me surveille d’une terrible façon, et ne me permet pas de leur faire aucun petit signe[1]. » Cette manière de parler de sa coquine de femme est celle de tous ces vieux débauchés. Il n’y en a pas un qui ne souhaite d’en être débarrassé au plus vite, et Plaute paraît trouver qu’ils n’ont pas tort. À la vérité, il ne laisse jamais entendre, dans le mal qu’il en dit, qu’elles se conduisent malhonnêtement ; c’est seulement un siècle plus tard qu’on osera mettre sur la scène une femme qui trompe son mari. Mais en attendant, elle passe sa vie à le quereller. Chez Plaute, elles sont toutes ou presque toutes[2] hargneuses, intéressées, insolentes, insupportables. Aussi notre surprise est-elle grande de voir qu’il ait si peu de respect pour le pater familias et la matrona, ces deux grandes figures romaines dont on nous fait tant d’éloges, et qu’il donne d’elles une aussi méchante opinion.

On pourrait supposer, il est vrai, que les peintures qu’il en a tracées ne sont pas fort exactes ; les auteurs de comédies sont suspects d’exagérer pour faire rire le public. Nous venons de voir d’ailleurs que Plaute a vécu dans des milieux populaires ; pouvait-il savoir exactement ce qui se passait dans un monde un peu plus élevé ? Ne l’ayant pu voir que de loin, il n’a pas tout vu peut-être, et il est possible qu’il s’y trouvât autre chose que ce qu’il nous a dit ; mais ce qu’il dit, je crois que nous pouvons être sûrs qu’il l’a vu. A plusieurs reprises, il en prend à témoin les spectateurs ; il fait appel à leurs souvenirs : « Vous savez bien, leur dit-il, que je ne mens pas, et que les choses se passent tous les jours comme je le rapporte[3] » L’affirmation est trop nette pour qu’on en puisse douter. On doit, je crois, en conclure que ce contraste surprenant, dans la même société, sous le même toit, qu’il a plusieurs fois signalé, de la grossièreté de quelques-unes avec la délicatesse des autres, existait réellement dans beaucoup de ménages romains.

Le moyen le plus simple de l’expliquer est de se souvenir qu’au moment où Plaute faisait jouer ses pièces, l’influence de l’hellénisme s’était déjà fort répandue à Rome ; mais qu’elle n’avait pas pénétré également partout. Il est naturel que ce soit la vieille et solide institution de la famille qui ait surtout résisté,

  1. Rudens, IV, I, 3.
  2. Il faut excepter l’Alcmène de l’Amphitryon qui est, dans le théâtre de Plaute, une exception qu’on ne sait comment expliquer.
  3. . Truculenlus, I, 2. — Voyez aussi la fin des Bacchides.