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quelque grand personnage ; lui, ne paraît pas avoir eu de protecteur. Ce que nous savons de sa vie nous le montre d’abord gagnant quelque argent dans une de ces entreprises qui se rattachaient au théâtre. Peut-être était-il ce qu’on appelait choragus, c’est-à-dire chargé de fournir les costumes des acteurs et les accessoires de la scène ; puis, ayant perdu sa petite fortune dans quelque entreprise hasardeuse, poursuivi par ses créanciers et forcé de tourner la meule, comme esclave, chez un boulanger, jusqu’à ce qu’il les eut remboursés, il se fit auteur dramatique pour vivre. Il est vraisemblable que, comme, chez nous, le poète Alexandre Hardy, au XVIIe siècle, il, fut attaché à quelque troupe de comédiens, celle de ce Pellio, ou Pollio, un directeur dont il ne paraît pas avoir eu toujours à se louer. Il a donc vécu dans la familiarité des gens de théâtre. C’étaient alors de fort médiocres personnages, esclaves ou affranchis pour la plupart, et soumis à une discipline sévère. « Sur la scène, est-il dit dans un prologue, ils sont des rois ou même des dieux ; -mais la pièce finie, celui qui a mal rempli son rôle reçoit les étrivières, et l’on sert à boire à celui qui l’a bien joué. » Dans ce milieu fort peu distingué, il a fréquenté ces petites gens dont il nous entretient volontiers, qui tremblent devant l’édile et que pourchasse la police des tresviri, les marchands d’huile du Vélabre, qui s’entendent si bien entre eux pour tromper les acheteurs, les pêcheurs qui vendent des poissons pourris, les habitans de la rue des Toscans qui font tant de métiers suspects et ceux qui tournent autour du tribunal pour vendre aux plaideurs leur témoignage. Il connaît donc très bien le bas peuple de Rome, et des renseignemens qu’il nous donne sur lui nous pourrons juger jusqu’à quelle profondeur l’hellénisme y avait pénétré.

Nous voyons d’abord que les Grecs devaient y être fort nombreux. La populace romaine a toujours été très mêlée. Dès les premiers temps, cette grande ville, hors de proportion avec le petit État dont elle était la capitale, la seule île tous les pays environnans qui eût cette importance, a dû attirer ses voisins. Les italiques y sont venus exercer leurs métiers avec plus de profit, ou chercher des plaisirs qu’ils ne trouvaient pas chez eux. Quand elle a été plus connue, on y est arrivé de plus loin, et les Grecs, qui sont d’instinct des voyageurs et courent volontiers les aventures, n’ont pas dû être les moins empressés à s’y rendre. Quelques-uns, grammairiens, rhéteurs, philosophes, qui s’étaient