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adversaires de la loi se sont aperçus qu’ils avaient fait fausse route, et qu’il n’y avait pour eux rien de bon à attendre de la campagne des inventaires. Nous aimons à croire aussi qu’ils ont écouté les conseils du Saint-Père. Pie X a recommandé la protestation, mais réprouvé la violence. Sa seconde encyclique n’existait pas encore au moment des premiers inventaires : elle a certainement produit son effet sur les derniers.

Si nous nous félicitons de la manière relativement pacifique dont ils ont été opérés, ce n’est pas que nous soyons sans inquiétudes sur les suites qu’ils peuvent avoir. Ces inquiétudes n’existaient pas il y a huit mois ; nous les éprouvons aujourd’hui, et c’est un devoir de nous en expliquer. Il y a huit mois, nous cherchions à rassurer les manifestans en leur disant que les inventaires n’avaient d’autre but que de constater la présence de certains objets dans les églises, et qu’il était absolument injuste d’y voir la préface d’une confiscation. Rien, en effet, n’était plus loin de la pensée du gouvernement. Les objets qui forment le mobilier des églises devaient, avec les autres biens ecclésiastiques, être transmis par les fabriques aux associations cultuelles. Aujourd’hui, tout est changé. Le Pape a défendu de former ces associations ; les catholiques ont obéi, comme ils en avaient le devoir, quel que fût d’ailleurs leur sentiment personnel sur les épreuves qui devaient en résulter pour l’Église de France. Le Pape connaissait ces épreuves : il aurait voulu les épargner à l’Église, mais il a déclaré qu’il ne le pouvait pas. Il fallait donc les subir. L’attitude du Pape et des catholiques rendait la loi inapplicable dans les parties qui les concernaient, mais non pas dans celles qui regardaient le gouvernement. On voit tout de suite quelles en sont les conséquences en ce qui concerne le mobilier des églises. Après un certain délai, le gouvernement sera obligé de le remettre aux communes avec tous les autres biens ecclésiastiques, et les préventions contre les inventaires, injustes à l’origine, se trouveront en apparence justifiées par l’événement. Peut-être ne faut-il pas prévoir les malheurs de si loin. Nous avons cependant tenu à le faire, pour qu’on ne nous accuse pas plus tard d’avoir cherché à endormir la résistance en disant que les inventaires étaient inoffensifs. Ils l’étaient dans le système de la loi, de la loi intégrale : ils le sont moins avec l’application partielle et fragmentaire de cette même loi à laquelle le gouvernement se trouve réduit. M. Briand est un homme ingénieux ; il l’a déjà montré ; peut-être le montrera-t-il encore. Quoi qu’il en soit, les inventaires ne peuvent servir qu’à opérer régulièrement un transfert de propriété.