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chœur ; un autre encore, autour du cadavre de Hansli, que le chœur mélancolique, où passe, à travers de fines harmonies, un parfum de Schumann. M. Doret n’a même pas craint de traduire en trois strophes pareilles, à la fois attendries et farouches, le sombre désespoir du meurtrier.

Mais le plus souvent, — et c’est l’une des marques personnelles de cette musique, — elle procède par des traits ou des touches brèves. Tel motif de fureur ou d’amour ne consiste que dans un sursaut, un mouvement, un geste sonore. Trois ou quatre notes, peut-être deux, le composent ; mais, parce qu’elles ont un sens dramatique, avec un intérêt, une valeur musicale, elles suffisent. Il ne faut pas davantage à l’orchestre. C’est également tout ce qu’il faut à la voix. Quatre mots déclamés sur un frisson des violons ou sur un grondement des basses, disent beaucoup et suggèrent plus encore, tant ils sont notés avec justesse. Ainsi, dans cette musique en raccourci, rien ne fait longueur et rien pourtant ne fait défaut.

Dans cette musique simple, rien ne fait d’embarras non plus. Vous n’y trouverez pas la recherche, le raffinement et le faux luxe qui voile à peine ailleurs la décadence et la dissolution. Tout l’effet, — effet rare aujourd’hui, — de l’harmonie et de l’instrumentation, vient ici de leur sobriété. Mais celle-ci n’est pas indigence. Deux notes seulement savent, dans les Armaillis, former un accord tragique, une poignante diaphonie. Sur les lèvres exsangues du spectre, la phrase douloureuse de Kœbi reparait, avec des harmonies défigurées, comme un affreux ricanement. Le travail thématique même n’a rien ici que de fibre et d’aisé. Les motifs principaux y reviennent sans doute et s’y modifient, légèrement, suivant les exigences des situations et des caractères, mais sans que jamais leur retour, et surtout leur transformation, dégénère en rébus ou en logogriphes sonores.

Enfin, autant que par le dedans, je veux dire par la pensée ou l’âme, cette œuvre vaut par le dehors même, ou le décor musical. Le sens pittoresque y égale le sens intérieur. Pour une fois, à l’Opéra-Comique, la beauté visible des paysages d’un Jusseaume s’accorde, au lieu d’y suppléer, avec celle des paysages sonores. Au début du premier acte, quand le rideau se lève sur des sommets purs, c’est assez du ranz des vaches, se mêlant à des sonnailles lointaines, pour que la musique égale, surpasse peut-être en sérénité grandiose, l’hémistiche latin : Pacem summa tenent, et le vers allemand : Über allen Gipfeln ist Ruhe, et toutes les formules enfin que donna jamais la poésie, de la paix trônant sur les cimes.