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compris l’assassin, l’escortent jusqu’à la maison. Kœbi, que Moedeli seule a soupçonné, revient et s’étourdit en buvant. Ivre de vin et de remords, il cherche le chemin de la montagne. Mais le fantôme de sa victime lui barre la route, le saisit, le terrasse, et le dernier cri du meurtrier, mourant à son tour, se perd dans la nuit et le vent.

Mendelssohn écrivait un jour à son ami Edouard Devrient, qui projetait d’écrire un livret d’opéra sur un sujet helvétique : « Fais-moi, je t’en prie, une Suisse puissante et fraîche au-delà de toute expression. Que si tu songes à me faire une Suisse mignarde, avec des roulades tyroliennes et des tirades langoureuses… si les montagnes et les cornets des Alpes tournent au sentimental, je t’avertis que je ne le digérerai pas et que je te critiquerai vertement… » M. Doret a compris la Suisse, ainsi que le drame qui s’y passe, de la façon que souhaitait Mendelssohn. La mignardise, ou seulement la sentimentalité, sont les moindres défauts de sa musique. On pourrait la définir ou la qualifier ainsi : le sentiment en est sain autant que sincère et profond ; elle est brève, sans être écourtée ou sommaire ; elle est simple : entendez par là d’abord qu’elle a moins d’ornemens que de fond et de substance ! , ensuite, que, sans rechercher l’effet, elle arrive par les moindres moyens à le produire ; enfin elle a la force, une force qui ne se durcit jamais en sécheresse et ne se grossit pas non plus jusqu’à la vulgarité.

Cela, tout cela, serait facile à vérifier, par des exemples empruntés à chaque élément de cet art. Ici la brièveté ne consiste pas seulement dans le peu de durée de l’ouvrage : elle est dans les formes elles-mêmes. Certes, j’en sais plus d’une qui, sans jamais s’étaler, se développe librement. La musique, au cours du drame rapide, a dû se ménager quelques haltes lyriques. Le ranz des vaches y déroule deux ou trois fois, tout entier, son thème, ou son choral, à demi pittoresque et religieux à demi. Le duo d’amour du premier acte, qui d’abord, est une chose charmante, en devient par degrés une fort belle. Il s’élève, — et très haut, — d’un essor que rien n’entrave ni n’abrège. Mélodique avec autant d’originalité que d’abondance, il ne s’enferme pourtant pas dans une carrure d’une mélodie. Mais tout de même il a son principe, son plan et sa loi. Les diverses parties dont la suite le compose font mieux que se suivre : elles se tiennent et soutiennent ensemble des rapports qui les unissent et les unifient. Avant de se mêler à la traîne symphonique et d’entrer dans l’action, la rieuse chanson de Mœdeli et de ses compagnes forme un épisode, — fort aimable, — de musique pure. C’en est un autre que les danses avec