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la voix, ni l’application, ni le zèle, à cette artiste laborieuse, consciencieuse, honorable entre toutes. Mais pour jouer le rôle de Phèdre, ou d’Iseult, rien que pour en porter le nom, l’honorabilité n’est peut-être pas la condition principale.

Dans le personnage de Thésée, M. Muratore a montré des muscles, de la voix et de l’intelligence. Le dernier venu des ténors de l’Académie de musique, il est loin d’en être le dernier.

Quant à la mise en scène, décors, « machines, » éclairage, figuration, costumes, chaussures même, surtout les brodequins de Phèdre, elle a paru manquer également de style et d’intelligence, de poésie et de vérité.


Nous avons cru longtemps qu’un artiste encore jeune, Suisse de naissance et Français de carrière, le musicien des Sept Paroles et de la Fête des Vignerons, l’ancien chef d’orchestre des concerts d’Harcourt, M. Gustave Doret, avait un talent solide et sérieux. Aujourd’hui nous en sommes sûr. Le compositeur des Armaillis est certainement un musicien dramatique, « doublé » d’un musicien tout court. Et vous savez que dans ce cas, ou dans cette rencontre, la doublure vaut l’étoffe, si même elle n’a plus de prix encore.

Un de nos confrères du Ménestrel[1] a récemment relevé dans l’Obermann de Sénancour cette définition : « Küher, en allemand, Armailli en roman, homme qui conduit les vaches aux montagnes, qui passe la saison entière dans les pâturages élevés et y fait des fromages. En général, les Armaillis restent ainsi quatre ou cinq mois dans les hautes alpes, entièrement séparés des femmes, souvent même des autres hommes. »

Pas « entièrement séparés » cependant, puisque sur les sommets où le méchant Kœbi et le doux Hansli gardent leurs troupeaux, la blonde Mœdeli monte parfois du fond de la vallée. Ils l’aiment tous les deux et chacun à sa manière : l’un, du plus brutal et du plus sauvage, l’autre du plus discret et du plus tendre amour. C’est l’autre, bien entendu, qu’a choisi la jeune fille. Pour trois fleurs, qu’avant de partir elle lui laissa comme gage de fiançailles, les deux armaillis se prennent de querelle et se battent. Le rude gars, d’une seule étreinte, étrangle son frêle camarade et, l’ayant jeté dans le torrent, descend au village, où ce soir on doit danser. Des cris bientôt interrompent la fête. Le torrent a rendu le cadavre. On le reconnaît, et tous, y

  1. M. Raymond Bouyer.