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La grandeur même et la puissance ne manquent pas, disions-nous, au troisième acte d’Ariane. C’est en y marquant les « endroits forts, » qu’il nous plaît, fût-ce en doux mots, de finir. La beauté des strophes que chante à la reine, pour charmer son ennui, sa jeune consolatrice, ne leur vient pas toute d’elles-mêmes : elle s’accroît et s’avive de la réponse, de plus en plus douloureuse, que fait à chacune Ariane, de plus en plus éplorée. A la fin du duo des deux sœurs, Ariane encore ayant prié Phèdre de porter à Thésée et ses plaintes et ses humbles vœux, sa prière par degrés s’anime, s’échauffe et devient une pathétique adjuration d’amour : Mais dis-lui bien surtout qu’il est mon souffle même ! Le mouvement, l’élan, est d’une justesse parfaite et d’une superbe éloquence. Préparé de loin, il se propage au loin, il gagne, il ébranle l’orchestre et couronne un dialogue féminin, tout de charme et d’intimité, par une péroraison éclatante.

Même éclat, également soutenu, mais encore plus de vigueur, dans la progression qui précipite, vers une conclusion wagnérienne et tristanesque, le grand duo de Thésée et de Phèdre. Je parle d’abord du couplet de bravoure, bien qu’il soit peut-être un peu trop « s’en va-t-en guerre, » entonné par le ténor sur un mode haendelien. Mais je songe surtout à l’espèce de récitatif, à la fois très musical et très déclamé, où s’élève au paroxysme le double sentiment qui possède l’âme, — et non pas l’âme seulement, — de Thésée : son amour, allant jusqu’à la frénésie, et son ingratitude, jusqu’au mépris et jusqu’à l’outrage. L’orchestre, le chant, la déclamation, le rythme, — le rythme particulièrement qui secoue l’orchestre et le disloque, — tout est ici dans le caractère de la situation et du personnage, de ce Thésée héros et butor à la fois. Tout est beau, comme il arrive rarement chez M. Massenet, de rudesse, de brutalité et de barbarie. On citerait peu de rencontres où le compositeur ait déployé cette force, également éloignée de la nervosité maladive et de la spasmodique violence. Et de telles pages sans doute ne feront pas que l’avenir appelle M. Massenet le musicien d’Ariane. Mais elles suffiront à témoigner que l’auteur du troisième acte de cet ouvrage n’était pas un médiocre musicien.

Ariane, c’est Mlle Bréval, toujours un peu trop uniformément sombre. On lui souhaiterait, avec autant de noblesse dans les attitudes, plus de lumière, de vie et de mouvement dans le jeu, dans la diction et dans la voix.

Phèdre, c’est Mlle Grandjean. Mais Mlle Grandjean n’est pas Phèdre. Il s’en faut d’un rien, qui se définit mal, qui ne s’acquiert ni ne se donne, et qui manque. Il ne manque d’ailleurs pas autre chose : ni