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Il est cela plus d’une fois ici. Tantôt il l’est et le demeure durant une scène entière ; tantôt il n’a besoin, pour l’être, que de quelques mesures ; de moins encore : d’une modulation ou d’une harmonie, du timbre d’un instrument ou d’une inflexion de la voix. Poétique et tendre, au premier acte, est l’invocation d’Ariane à Cypris ; elle flotte au-dessus de longs accords parfaits, dont la succession ne manque guère de donner aux chants de ce genre une couleur vaguement et suffisamment antique. Mais surtout, puisque nous recherchons les détails, — les détails précieux, — écoutez, et lisez, après l’avoir entendu, le premier discours de Phèdre encore innocente à sa sœur amoureuse déjà. Admirez comme, inquiète d’abord et presque dramatique, la phrase bientôt, à ces mots singuliers : O ma sœur de berceau, plus proche et préférée ! se détend, se dénoue par une modulation vraiment exquise, et se fond en féminine et fraternelle tendresse. Dans le genre opposé, le cri d’Ariane, affirmant et célébrant d’avance le triomphe de Thésée sur la bête farouche : Il la vaincra dans l’aurore, (et ce qui suit), éclate en effet du double éclat de l’aurore et de la victoire. On pourrait noter ici que la descente ou la chute rythmique, et non pas du tout, comme il arrive communément, la montée ou l’essor de la période musicale, en accroît l’ampleur et l’énergie. Tant il est vrai que la vérité, que la beauté résulte ou jaillit librement de formes ou de formules contraires.

De pareils traits, et bien d’autres encore, de force ou de douceur, sont comme des rayons, dont le troisième acte de l’ouvrage formerait le centre ou le foyer. Lumineux et chaud, ce troisième acte est une chose belle. Il se compose d’une suite de scènes largement développées et que soutient un style à peu près sans défaillance. Ce n’est presque rien, çà et là, qu’une tache légère. Si, pourtant ! c’est trop, chez un grand artiste, que ces petites faiblesses. C’est trop, dans la première plainte d’Ariane, que deux mesures tortillées et minaudières, entre des soupirs touchans et un admirable cri. Ailleurs, avant la trahison, voici Phèdre empressée à rassurer sa sœur, pour la première fois inquiète : Vous pleurez, mes chers yeux ! Vous soupirez, ma chère bouche ! A demi récitative et mélodique à demi, la phrase est délicieuse de ligne, de tonalité, de mode, et promet de l’être ainsi tout entière. Mais voici que le mode justement, à la fin et sur l’avant-dernière note, s’altère. Soutenu jusqu’ici, le mineur se résout en majeur par la plus fâcheuse et la plus banale cadence. C’est ainsi qu’autrefois déjà l’auteur de Werther avait gâté, par une seule note, et la même, la conclusion de la pure cantilène « des