Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des dessus mystérieux, que le poète lui-même prend volontiers le soin de nous éclaircir.

« Ariane, c’est l’amour instinctif, absolu… c’est la tendre femelle… Et l’instinct, par le dévouement, par le sacrifice, deviendra sublime. » Abandonnée et trahie, « Ariane consentira vite à toutes les abnégations, aux pires désespoirs, et y trouvera un délicieux accomplissement de sa personnalité.

« Phèdre… ne connaîtra que des joies terribles dans le remords de ne pas être soi-même. « Thésée… est le mâle séduisant… Il y aura de l’étonnement dans son amour pour Phèdre, non pas femelle, mais femme très complexe, extra-humaine. Il faut aussi, pour le personnage de Thésée, songer au mythe solaire. »

Plus encore, beaucoup plus que les indications de caractères, le style, dans Ariane, a quelque chose de rare et de précieux. La préciosité surtout y passe toutes les bornes et s’y mêle ou s’y amalgame avec l’emphase, une emphase qui n’exclut pas l’obscurité, si même elle ne la favorise. Il n’y a pas jusqu’aux détails de la mise en scène qui ne soient réglés sur ce ton. Le régisseur et le poète s’expriment ici dans le même langage : il n’est fait que de faiblesse mourante et de violence effrénée, de pâmoisons et de fureurs. M. Catulle Mendès n’a pas craint de donner pour épigraphe à son livret les deux alexandrins de Racine :


Ariane, ma sœur, de quel amour blessée.
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !


et son livret semble moins la paraphrase que la contradiction ou le démenti de ces deux vers si purs, si simples et si grands.

Parmi les musiciens d’aujourd’hui, voire d’hier, il n’en est pas de plus intelligent que M. Massenet. Il sait tout de son art, même les artifices. Le fond lui manque-t-il, il y supplée par toutes les finesses, toutes les ruses de la forme, ou de la formule même. Citharède charmant et subtil, le musicien d’Ariane a toutes les cordes et, si j’osais, je dirais quelques ficelles à sa lyre. Faible par momens dans les grandes choses, il sait, dans les petites, se ménager de délicieuses revanches. Et puis, son talent, son métier n’est qu’un jeu, d’une aisance aujourd’hui souveraine. O musique de M. Massenet, ton nom, l’un de tes noms, est facilité !

Liberté pourrait en être un autre. Malgré les lois en vigueur, et en rigueur, du drame lyrique moderne, on ne trouve rien dans le nouvel opéra de M. Massenet, ou presque rien du leitmotiv. Et, pourtant le fil