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la maison d’autrui avant que personne s’en fût aperçu, ainsi qu’il était intervenu à cet ancien seigneur (Guidobaldo da Montefeltro, duc d’Urbin), dont on avait appris la mort plus tôt que la maladie. » Cette nuit-là, au sortir d’une telle audience, Machiavel dut, pour sa part, faire bien des réflexions.

Le prince, qui, deux heures durant, a posé devant lui, lui laisse comme première impression, à ce premier contact, d’être « très solitaire et secret. » Quand il écoute ou regarde autour de lui, le portrait se complète, touche par touche : « Ce seigneur est très splendide et magnifique ; et dans les armes il est si courageux, qu’il n’est si grande chose qui ne lui paraisse petite ; et pour la gloire et pour acquérir Etat, jamais il ne se repose ni ne connaît fatigue ou péril ; il arrive en un lieu avant qu’on ne puisse entendre son départ de celui qu’il quitte ; il se fait bien vouloir de ses soldats ; il a enrôlé les meilleurs hommes d’Italie ; lesquelles choses le font victorieux et formidable, jointes à une perpétuelle fortune. » Ne semble-t-il pas qu’on sente au toucher, qu’on suive au tracé les coups de pinceau ? En sept ou huit propositions, de quelques mots chacune, Machiavel enferme, et nous tenons par lui, tout l’essentiel de la psychologie de César. Machiavel lui-même : la lettre, quoique signée de Soderini, est tout entière de sa main. La deuxième entrevue, que le duc fit attendre aux envoyés de la Seigneurie et ne leur accorda que le 26 à trois heures, détache l’image, la grave, la sculpte mieux encore : « il ne veut pas rester dans cette ambiguïté, mais il désire être notre ami ; en quoi il veut les deux choses dites ; et, ne pouvant pas être ami, il veut être ennemi ouvert. » Pour la réponse, quatre jours. Soderini n’arrive pas, malgré ses instances, à gagner une seconde.

D’autre part, l’évêque et le secrétaire ont rendu visite la veille aux Orsini, Giulio et Paulo, qui sont près du Valentinois. Les condottieri, — il est permis de soupçonner que ce n’est pas spontanément, — leur ont tenu des discours de tranche-montagnes, de capitaines Fracasse, ce qui ne serait rien pour des Florentins qui devinent ce qu’il en faut rabattre, mais de capitaines Fracasse très renseignés, très certains de leur fait. Le roi de France leur laissera les mains libres ; il enverra du monde au secours de Florence, parce qu’il s’y est obligé, mais « le manderò adagio, » il l’enverra tout doucement, si bien qu’ils auront le temps nécessaire : plus de temps qu’il ne leur en faudra ; ils