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avec un zèle infatigable et toujours clairvoyant à l’exécution des ordonnances antérieurement mises en vigueur par Richelieu, apprit son métier de futur secrétaire d’Etat de la guerre. N’était-ce pas, d’ailleurs, Richelieu qui avait envoyé des intendans auprès des commandans d’armée, aussi bien qu’auprès des gouverneurs de province, pour avoir, selon ses propres expressions, l’œil à l’exécution des ordonnances, à l’exercice de la justice, au service du roi et au soulagement de son peuple[1] ? Aussi serions-nous bien près de réclamer en faveur de Richelieu une notable part de cet éloge adressé à Le Tellier par son récent et savant historien : « Il a réussi à constituer un système nouveau, imparfait encore sur certains points, mais dont les bases sont solides et qui doit rester à peu près immuable jusqu’à la Révolution. Il a dessiné l’instrument, l’a construit pièce par pièce, et lorsqu’il l’a cédé à son fils Louvois, celui-ci n’a eu qu’à le compléter, à le polir, à le perfectionner. »


II

Comme la plupart des hommes dont la royauté française se plut à faire ses conseillers, Michel Le Tellier était issu de cette bourgeoisie laborieuse et instruite qui, pour s’élever à la situation dont elle était ambitieuse et dont elle fut de plus en plus consciente d’être devenue digne, eut tout autant besoin de s’appuyer sur la toute-puissance du monarque que le pouvoir royal d’avoir recours à ses lumières et à son dévouement pour s’assurer une omnipotence, qui, avec Louis XIV, atteignit son apogée.

Les ascendans de Le Tellier, après avoir acquis quelque fortune dans le commerce, avaient pénétré dans ces offices de judicature qui, peu à peu, effaçaient ou dissimulaient la prétendue tache originelle, que Saint-Simon éprouvait une sorte de joie si amère à leur reprocher du haut de son aristocratique orgueil. Arrière-petit-fils d’un notaire au Châtelet, petit-fils d’un maître des comptes, fils d’un conseiller à la Cour des aides, Michel Le

  1. L’article 81 de l’ordonnance de janvier 1629 prescrit expressément : « Que nul ne puisse être employé ès-charges d’intendant de la justice ou finances que nous députons en nos armées ou provinces, qui soit domestique, conseil ou employé aux affaires ou proche parent des généraux desdites armées ou gouverneurs desdites provinces. »