Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/667

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

critiquable, voire même une plus détestable méthode que de s’appliquer, pour grandir tel ou tel personnage, à rejeter dans l’ombre ceux qui l’ont précédé ou suivi ? Sur ce terrain comme sur tout autre, plus on pénètre dans l’étude des choses, plus il se vérifie que ni les hommes ni les faits, considérés séparément, ne portent en eux tout ce qui a trait au temps où ils ont vécu, et qu’on ne peut vraiment les comprendre qu’à la condition d’étudier les faits dans leurs antécédens et les hommes dans les actes de leurs prédécesseurs et de leurs contemporains.

Ce que nous disons de Louvois ne serait pas moins exact pour Michel Le Tellier lui-même. Si Louvois doit beaucoup à son père, il ne faudrait pas, d’autre part, oublier que Le Tellier avait eu un devancier, qui s’appelait Richelieu. C’est à Richelieu que remonte cette grande et belle ordonnance de 1629, si complète, si bien étudiée, qui, dans son texte même ou dans ses annexes ultérieures, contient en germe, et plus qu’en germe, presque toutes les réformes dont, jusqu’à ce jour, on avait, en bloc et presque exclusivement, glorifié Louvois. Point par point, en effet, il serait aisé de démontrer qu’aussitôt que Richelieu eut résolu d’exercer, dans la lutte engagée par les États protestans contre la prépondérance de la maison d’Autriche, une action qui devait être décisive, il se rendit le compte le plus précis et le plus clairvoyant des mesures qu’il était urgent et indispensable de prendre pour avoir des effectifs de plus en plus nombreux et solides, les discipliner, les armer, les nourrir, les vêtir, les loger, les payer, et surtout pour les mettre entièrement dans la main du Roi. Ce qui reste vrai, c’est la très grande part que Michel Le Tellier eut, avant son fils, à la transformation « des troupes de Louis XIII, hirsutes et farouches, » qui triomphèrent, cependant, à Rocroi et sur tant d’autres champs de bataille, « en une année souple, lisse et obéissante, » qui devint le prototype des armées modernes. Mais quelle qu’ait été la gravité de l’atteinte portée par la Fronde à l’œuvre politique et militaire de Richelieu, ce serait une trop sensible omission que de ne pas insister sur ce que Le Tellier, appelé par Mazarin au secrétariat de la guerre, dut au grand ministre dont il poursuivit, avec une énergique persévérance, l’œuvre d’organisation, que Louvois devait encore étendre et améliorer.

Pour s’en assurer, il suffirait de se souvenir que ce fut en qualité d’intendant de l’armée d’Italie que Le Tellier, en veillant